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de longtemps. Il ne nous appartient point d’évaluer ce sinistre, ni d’y remédier, notre seul rôle est d’en rechercher les causes, ce sera une faible consolation pour d’aussi grandes pertes[1]


II

On sait que l’eau se congèle de façons très différentes : elle prend dans l’air la forme de neige, de grésil ou de grêle ; sur les lacs, elle s’étend en longues lames cristallisées ; elle se façonné en stalactites dans les torrens et s’accumule en masses profondes dans les glaciers. Une fois solidifiée, elle supporte les froids les plus rigoureux,

  1. Nous devons à l’extrême obligeance de M. Serval, conservateur des forêts, les renseignemens qui suivent sur l’importance matérielle des dégâts :
    Les forêts domaniales de la zone parisienne atteintes par le verglas des 23, 24, 25 janvier sont celles de Fontainebleau (17,000 hectares), Villefermoy (2,200 hectares), Jouy (1,400 hectares), Malvoisine (500 hectares), Sourdun (400 hectares).
    Ces forêts sont situées dans le département de Seine-et-Marne.
    On peut évaluer à 200,000 stères le volume des bois brisés par le verglas ; la seule forêt de Fontainebleau compte dans ce chiffre pour 150,000 stères. Les parties de cette forêt peuplées en pins ont été principalement endommagées.
    Depuis cinquante ans environ, le service des forêts s’était attaché avec persévérance à restaurer les cantons ruinés, au moyen de semis et de plantations de pins sylvestres. Il avait été ainsi créé des massifs résineux d’une étendue totale de 4 à 5,000 hectares. Chaque année, ces massifs étaient soigneusement éclaircis, de manière à laisser aux cimes un libre développement.
    On peut dire que ces beaux massifs de pins sont détruits dans la proportion de 60 à 70 pour 100. Il semblerait que certaines parties ont été mitraillées à outrance. Il sera nécessaire de raser à blanc d’immenses étendues et de recommencer le repeuplement. L’œuvre de la restauration de la forêt de Fontainebleau se trouve retardée de trente ans.
    Les cantons peuplés en essences feuillues ont moins souffert. Toutefois les hêtres d’âge moyen ont été très entamés. Quant aux bois d’essences tendres, ils sont presque partout brisés. Je crois qu’on aurait peine à trouver debout un seul de ces gracieux bouleaux dont le tronc argenté, surmonté d’un léger feuillage, faisait l’ornement des parties rocheuses de la forêt.
    Dans les jeunes coupes des florissans taillis de Villefermoy, les baliveaux, espoir de l’avenir, sont brisés dans la proportion de 60 à 80 pour 100.
    Le vendredi 24 janvier cette dernière forêt, peuplée en essence feuillue, entièrement enveloppée d’une épaisse couche de glace, ressemblait, selon l’expression imagée d’un garde général adjoint, « à une immense exposition de cristallerie. » Rien de plus saisissant que l’immobilité et le silence qui pesaient sur la forêt, brusquement, troublés de temps en temps par l’effroyable fracas des bris d’arbres.
    Il n’est pas possible de se rendre encore un compte exact des résultats matériels du désastre. Ce n’est qu’après avoir réparé l’inextricable désordre qui règne actuellement dans les forêts qu’il sera possible d’apprécier ce qu’on a perdu et ce qu’il faudra de temps et d’argent pour relever les ruines accumulées par trois ou quatre jours de pluie glacée.