faire l’application à la propriété commune et spécialement au mir russe, nous trouvons un exemple singulier de ce que peut être dans la pratique cette liberté théorique offerte au travail émancipé par la plupart des réformateurs sociaux. Lequel est le plus libre de notre paysan, maître de quitter son village quand bon lui plaît, maître de porter ses bras et ses services où bon lui semble, ou bien du moujik russe, plus ou moins enchaîné au lot de terre qu’il tient de sa commune, et ne le pouvant quitter qu’après avoir racheté sa liberté et avoir obtenu l’autorisation de l’assemblée communale ? Je sais que cette dépendance réciproque des membres de la commune est une suite de la solidarité des impôts directs. Je crois même, pour ma part, qu’il ne serait pas impossible de supprimer cette solidarité devant le fisc, tout en conservant à la commune la propriété des terres[1], et pour ce motif je ne me permets pas de condamner le mir rosse et la propriété collective, mais je n’en saurais oublier l’essence et les conditions naturelles. Si réduite et réglementée qu’elle puisse être, si lâches qu’en soient les liens, toute communauté est une chaîne pour ceux qu’elle associe, elle les tient forcément dans une dépendance mutuelle, et si la propriété collective a des avantages sur la propriété personnelle, ce n’est certes point celui de mieux garantir la liberté individuelle.
Le nouvel apologiste de la propriété collective fait de la commune russe une longue et minutieuse étude qui, malgré la partialité de l’auteur et malgré des erreurs historiques scrupuleusement signalées par ses savans compatriotes[2], reste pour nous la portion la plus instructive de son grand ouvrage. En célébrant le mir du moujik comme l’arche sainte de la Russie et de la civilisation slave, le prince Vasiltchikof a le soin de déclarer que, loin d’avoir aucune parenté réelle avec le communisme prêché en Occident, la vieille institution moscovite est en opposition avec lui. Le mir russe n’admet ni la jouissance commune des terres ni le partage des fruits du sol ; s’il attribue à chaque famille, ou mieux à chaque tiaglo, à chaque couple de travailleurs, un lot de terre communale, c’est pour lui en abandonner tous les fruits et laisser à chacun le produit de son travail. Ainsi sous ce régime agraire se trouve respecté le principe de la responsabilité individuelle, et dans cette organisation, qui nous semble de loin toute socialiste, le premier ressort de l’activité reste l’intérêt personnel. C’est une observation que