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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/195

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les principes de la raison et les lois de la civilisation moderne ! Le mormonisme, déjà fort d’un demi-siècle de durée, compte encore aujourd’hui quatre-vingt-cinq mille adhérens. On assure qu’il s’use de lui-même. Pourtant les journaux américains nous apprennent qu’au moment d’être frappé à mort par les lois des États-Unis, il tente un effort suprême. Quelques déléguées de la secte sont venues en mission essayer d’intéresser à leur cause Mme Hayes, la femme du président. Elles prétendent que les gentils pratiquent, eux aussi, un genre de polygamie spéciale et clandestine dont les fruits sont irréguliers, tandis que le mormon se glorifie de n’avoir jamais que des enfans légitimes. Curieux argument que la légitimité des enfans invoquée pour réhabiliter et justifier la pluralité des femmes !

Si la question mormone paraît devoir se régler bientôt, l’émigration chinoise continue toujours de préoccuper vivement les esprits. On semble bien renoncer à expulser les Chinois, mais tout récemment encore la chambre fédérale vient de voter un bill qui entrave singulièrement leur entrée en Amérique. M. de Turenne, comme M. de Rochechouart, nous montre le fils du Céleste-Empire colonisateur aussi tenace que rebelle à toute assimilation. Ni les lois prohibitives, ni les persécutions, ni les tracasseries sans cesse répétées, rien ne parvient à entamer sa double obstination : il reste quand même, mais il reste Chinois. Dans les différentes contrées où il émigre, on le voit s’emparer des métiers et du petit commerce, défiant toute concurrence par son activité infatigable, son adresse, sa sobriété, sa patience à supporter les plus rudes et les plus dangereux travaux, et surtout par le bon marché inouï de la main-d’œuvre. À ces qualités incontestables s’ajoute encore une discipline sévère, qui fait sa force et son unité. M. de Rochechouart en cite ce curieux exemple : à Singapour, deux partis d’émigrans en étaient venus aux mains. On pria l’autorité de ne pas intervenir et de laisser la querelle se vider en famille. De part et d’autre, des centaines d’hommes périrent, mais pas un Européen ne fut atteint ; le combat s’arrêtait même pour laisser passer les voitures. Enfin, quand la lutte eut cessé, les dégâts matériels furent payés intégralement par un comité chinois.

Faut-il redouter déjà l’invasion du monde civilisé par le flot irrésistible et toujours montant de cette barbarie païenne ? Devenus partout nos serviteurs et bientôt plus nombreux que leurs maîtres, les Chinois deviendront-ils nos maîtres à leur tour, puisque c’est le nombre seul qui règne aujourd’hui ? C’est prévoir le danger de bien loin. Toutefois la force d’expansion de ce peuple donne à réfléchir.

Pendant son séjour en Amérique, M. de Turenne visite à deux