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quelque action dans la politique ; sous les successeurs d’Alexandre, quand la parole ne fut plus libre, on apprit à parler pour savoir parler, et la rhétorique devint son but à elle-même. Il est à remarquer que cette situation nouvelle ne lui fit rien perdre de son importance. Au contraire, elle ne fut jamais étudiée avec autant d’ardeur que depuis qu’elle ne conduisait plus à rien. Au moment où les petits états grecs, gouvernés par des souverains médiocres, déchirés de discordes misérables, tombaient l’un après l’autre au pouvoir des Romains, les écoles de rhétorique de l’Asie devenaient célèbres dans le monde entier. On y enseignait un genre d’éloquence ample, abondant, épais (adipatum dicendi genus), qui s’appela le genre asiatique et qui fit fortune à Rome. Les gens distingués de tous les pays venaient s’y instruire.

La Grèce n’a donc jamais perdu tout à fait sa réputation, malgré ses malheurs. Visitée pieusement par les amis des lettres et des arts, elle continuait à vivre de son ancienne renommée, lorsqu’il lui vint tout d’un coup, sans qu’on sache bien pourquoi, une gloire nouvelle et inespérée. On était alors au début du règne des Antonins ; Rome paraissait plus puissante et plus glorieuse que jamais ; elle attirait à elle tous les grands esprits de l’univers et il semblait que le mouvement littéraire et scientifique devait se concentrer tout entier dans la capitale du grand empire. C’est pourtant le moment où la Grèce paraît se ranimer. Elle résiste, par un effort vigoureux, à cette domination envahissante ; en face de ses maîtres tout puissans, elle parvient à maintenir sa suprématie, et son inépuisable génie produit une forme nouvelle de littérature qui rend encore une fois le monde son tributaire. C’est ce qu’on appelle la seconde sophistique (ἡ δευτέρα σοφιστική). Ce nom, c’est elle-même qui se l’est donné, et il ne contient aucun blâme. La première sophistique avait péri sous les coups de Socrate, mais elle avait laissé d’elle une grande renommée. La souplesse de raisonnement, la subtilité de pensée dont usaient les sophistes dans leurs discussions plaisaient beaucoup à l’esprit grec, grand ami de ces tours de force, et Socrate n’avait pu les vaincre qu’en les imitant. La dialectique dominait chez les premiers sophistes ; les seconds donnèrent plus de place à l’éloquence. Leur art consistait surtout dans un mélange de rhétorique et de philosophie (rhetorica philosophans). Ils se plaisaient à développer des idées générales dans un style qu’ils rendaient le plus élégant et le plus agréable qu’ils pouvaient. Le fond était pour eux peu de chose : ils ne tenaient pas à la nouveauté des pensées qui accapare l’esprit et le détourne de la contemplation de la forme. Il ne leur convenait guère de chercher l’intérêt, comme leurs confrères de Rome, dans les allusions au temps présent ; il y