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pas feignent de la goûter plus que les autres pour donner le change. C’est ainsi que, par une sorte d’émulation générale, chacun s’efforçant d’établir sa réputation d’homme d’esprit ou de la conserver, et tous renchérissant les uns sur les autres, on en vient à des exagérations de raffinement et de délicatesse que la postérité ne comprend plus, mais qui ravissent les contemporains.

L’art des sophistes répondait donc à un besoin du moment ; aussi obtinrent-ils un succès dont il est aujourd’hui difficile de se rendre compte, mais qu’il est nécessaire de constater. On les envoyait souvent à Rome quand on avait quelque grâce à obtenir de l’empereur ; les cités ou les provinces les chargeaient de remercier pour elles les proconsuls dont elles avaient reçu quelque faveur, et ces magistrats regardaient comme leur plus glorieuse récompense d’être le sujet d’un de ces beaux panégyriques dont le souvenir devait conserver leur nom. Quelques-uns des sophistes restaient fixés dans la ville où ils avaient ouvert leur école et y attiraient les jeunes gens des contrées voisines ; d’autres couraient le monde, comme les acteurs célèbres de nos jours. Ils s’arrêtaient dans les villes importantes et donnaient des séances publiques dans les théâtres. Tantôt ils parlaient seuls, sur des sujets qu’ils avaient choisis d’avance ou qu’on leur indiquait au dernier moment ; tantôt ils instituaient de véritables luttes d’éloquence avec les rhéteurs du pays. La foule se pressait à ces spectacles, et l’orateur, enflammé par un auditoire enthousiaste, se surpassait lui-même. En Grèce, on a toujours aimé la parole, surtout la parole improvisée qui, par ses hasards et ses surprises, donne au discours l’intérêt du drame. Quand le public voyait se présenter devant lui ce personnage richement vêtu, entouré de jeunes disciples qui formaient une cour, ou, comme disaient les Grecs, un chœur autour de lui, et devaient donner le signal à l’admiration des auditeurs, quand il regardait ces gestes élégans et simples qui rappelaient les poses des plus belles statues, qu’il entendait cette parole rythmée et cadencée qui semblait une musique, qu’il suivait ces périodes harmonieuses, pleines d’images brillantes, d’antithèses symétriques, d’expressions fines et inattendues, l’enthousiasme éclatait en applaudissemens frénétiques. Il y eut de ces fêtes qui laissèrent dans la Grèce un grand souvenir : telle fut celle où l’empereur Hadrien, « l’ami des Grecs, » célébra la dédicace du temple de Jupiter Olympien d’Athènes, qu’il fit achever cinq siècles après qu’on en avait posé les fondemens. Il avait fait venir pour cette cérémonie le célèbre sophiste Polémon, de Smyrne, et lui demanda de parler après le sacrifice solennel. Polémon, s’avançant sur le péristyle du nouveau temple, s’adressa de là au peuple réuni et trouva, nous dit-on, des paroles dignes de la grandeur