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convertir les Prussiens. Le moine Christian, sorti du monastère poméranien d’Oliva, avant-poste chrétien jeté à quelques kilomètres de la terre païenne, franchit la Vistule et bâtit sur la rive droite quelques églises. Ce fut assez pour que le pape prît sous la protection des apôtres Pierre et Paul le pays tout entier et instituât Christian évêque de Prusse. Le nouveau diocèse était à conquérir ; pour donner des soldats à l’évêque, le pape fit prêcher la croisade contre les Sarrasins du nord. La folie de la croix était alors apaisée, et les chevaliers avaient à plusieurs reprises marqué leurs préférences pour les croisades courtes. Les papes s’accommodaient, non sans regret, aux nécessités du temps, et les indulgences étaient aussi abondantes pour le chevalier bourguignon croisé contre les albigeois, ou pour le chevalier saxon, croisé contre les Prussiens, qu’elles avaient été jadis pour Godefroy de Bouillon ou pour Frédéric Barberousse. « Le chemin n’est ni long ni difficile, disaient les prêcheurs de la croisade albigeoise, et copieuse est la récompense. » Ainsi parlaient les prêcheurs de la croisade prussienne. Plusieurs armées marchèrent contre les Sarrasins du nord ; mais elles ne firent que passer, pillant, brûlant, puis livrant aux représailles des Prussiens exaspérés les églises chrétiennes. En 1224, les barbares massacrent les chrétiens, détruisent les églises, passent la Vistule pour aller incendier le monastère d’Oliva, et la Drevenz pour aller ravager la Pologne. Ce pays était alors partagé entre les deux fils du roi Casimir ; l’un d’eux, Conrad, avait la Mazovie, et, voisin de la Prusse, il portait tout le poids d’une guerre qui n’avait jamais été si terrible. Ne se fiant plus à des secours irréguliers et dangereux, il se souvint que l’évêque de Livonie, en fondant un ordre chevaleresque, avait mis la croisade en permanence sur le sol païen, et il députa vers le grand maître des teutoniques pour lui demander son aide. Ceci est un très grave événement dans l’histoire de la Pologne, car il appartenait à ce pays de transmettre le christianisme aux peuples de l’Oder et de la Vistule. Pour vivre âge de peuple, dans un cadre naturel, entre les monts bohémiens et la mer, il fallait qu’il ne laissât point se détacher de lui la Silésie ni la Poméranie, et qu’il ne permît point aux Allemands de s’établir en Prusse comme dans une forteresse, au milieu de la région slavo-finnoise ; mais la Pologne, à aucun moment de son. histoire, n’a fait ce qu’elle devait faire. Elle a eu au moyen âge de la grandeur par momens et par éclairs : jamais elle ne s’est recueillie, soit pour apprendre à se gouverner, soit pour entreprendre une conquête suivie. Sa cavalerie féodale, campée sur ce terrain vague, ouvert à tous les vents, qui s’étend de la Vistule à l’Oder, en sort à tous momens et galope vers l’Elbe ou vers le Dnieper et la Duna. Elle eût mieux