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fait de pousser à fond la guerre contre la Prusse, car le jour où Conrad de Mazovie, avouant son impuissance, appela contre les Prussiens les chevaliers teutoniques, il prépara la ruine de la Pologne.

Le grand maître à qui s’adressa Conrad était Hermann de Salza, le plus habile politique du XIIIe siècle, où il a été mêlé aux plus grandes affaires. Dans ce temps de lutte sans merci entre l’empire et la papauté, où les deux chefs de la chrétienté se haïssaient mutuellement, le pape excommuniant l’empereur, l’empereur déposant le pape, l’un et l’autre se couvrant d’injures et se comparant qui à l’Antéchrist, qui aux plus vilaines bêtes de l’Apocalypse, Hermann demeura l’ami et même l’homme de confiance de Frédéric et de Grégoire IX. Il n’est pas prudent d’associer un pareil homme à une entreprise politique en lui offrant une part dans les bénéfices : s’il ne cherchait point à grossir cette part, à quoi servirait cette habileté ? Conrad de Mazovie et Christian d’Oliva espéraient sans doute que les teutoniques feraient leur besogne moyennant quelque cession de territoire sur laquelle on reviendrait dans la suite, mais ils s’aperçurent qu’ils s’étaient trompés. Conrad offrait à l’ordre le pays de Culm, entre l’Ossa et la Drevenz, toujours disputé entre les Polonais et les Prussiens et qui alors était à conquérir. Hermann accepte, mais il demande à l’empereur de confirmer cette donation et d’y ajouter celle de la Prusse entière. L’empereur, en sa qualité de maître du monde, cède au grand maître et à ses successeurs l’antique droit de l’empire sur les montagnes, la plaine, les fleuves, les bois et la mer in partibus Prussiœ. Hermann demande la confirmation pontificale, et le pape, à son tour, lui donne cette terre qui appartenait à Dieu ; il fait de nouveau prêcher la croisade contre les infidèles, ordonnant aux chevaliers de combattre de la main droite et de la gauche, munis de l’armure de Dieu, pour arracher la terre des mains des Prussiens, et aux princes de secourir les teutoniques. Après les premières victoires, il déclarera de nouveau la Prusse propriété de saint Pierre ; il la cédera aux teutoniques « de façon qu’ils la possèdent librement et en toute propriété, » et menacera quiconque les voudrait troubler dans cette possession a de la colère du Tout-Puissant et des bienheureux Pierre et Paul, ses apôtres. »

Quand tout fut en règle, en 1230, la guerre commença. La première fois que les Prussiens aperçurent dans les rangs des Polonais ces cavaliers vêtus du long manteau blanc sur lequel se détachait la croix noire, ils demandèrent à un de leurs prisonniers qui étaient ces hommes et d’où ils venaient. Le prisonnier, rapporte Pierre de Dusbourg, répondit : « Ce sont de pieux et preux chevaliers envoyés d’Allemagne par le seigneur pape pour combattre contre