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évêques assemblés désignèrent trois candidats : le métropolite Job, Alexandre, archevêque de Novgorod, et Varlaam de Rostof. Boris raya les deux derniers, et Job, agréé par le tsar, fut proclamé patriarche de toutes les Russies le 23 janvier 1589. — Il avait fallu six mois pour mener à bonne fin ces délicates négociations. Jérémie, toujours en instance pour obtenir ses lettres de sortie, ne recouvra pas encore sa liberté ; il dut boire le calice jusqu’au fond et sacrer son rival dans l’église primatiale, avec une pompe qui lui inspira sans doute d’amers retours sur ses propres débuts, dans la pauvre basilique du Phanar.

Au centre du Kremlin, sur le parvis dallé qui relie tout un groupe de monastères, de palais et d’églises, à côté de la tour d’Ivan, la cathédrale de l’Assomption dresse ses blanches murailles et ses cinq coupoles étincelantes. Dès le matin du jour usé, la foule du peuple et des marchands, les nobles, les moines se pressaient autour des grilles. Le cortège sortit du palais, conduit par Féodor, Boris, les deux patriarches, et se déploya majestueusement sur l’Escalier Rouge ; les lourdes bannières de la Vierge et des saints, rangées sur le passage en haie serrée, formaient au-dessus du parvis comme une voûte d’orfèvreries et d’images, depuis le perron jusqu’à l’Assomption. Les centaines de carillons de la « ville sonnante » ébranlaient l’air à plusieurs verstes de distance, les cloches d’argent de la tour mêlaient leurs notes hautes à la basse profonde des bourdons d’airain. Ceux qui ont entendu cette joie sonore des clochers de Moscou aux grandes fêtes savent comme l’orage de bronze imprime à l’atmosphère un long tremblement, sourde prière murmurée par l’éther jusque dans les deux. La procession franchit le grand portail, au-dessus duquel la Panagia colossale veille, interrogeant de ses grands yeux fixes l’horizon de la ville sainte déroulé à ses pieds. L’intérieur de la cathédrale est un vaisseau porté sur quatre colonnes élancées, entièrement revêtu de peintures sur un fond d’or ; une nuit perpétuelle y règne ; aux grandes cérémonies seulement, réveillé par les lueurs de mille cierges, un peuple d’apôtres et de bienheureux défile sur les parois, tourne autour des colonnes ; les flammes d’un jugement dernier viennent lécher la voûte, d’immenses faces de Christs regardent à pic au-dessous d’elles, du fond des hautes coupoles, le troupeau des fidèles. Entre ceux-ci et l’autel se dresse l’iconostase, mur d’or sculpté de figures voilées sous des nimbes de filigrane. Une porte et un rideau s’ouvrent de temps en temps pour laisser entrevoir l’autel et les mystères. — On avait élevé au milieu de l’église une estrade surmontée d’un baldaquin relié à la porte de l’iconostase par un vélum de pourpre. Le patriarche œcuménique en gravit les degrés, la tiare en tête, vêtu du