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pas de quelques paroles de bienvenue le retour d’une ancienne colonie à la mère patrie.

Ce qu’il y a d’agréable dans cette affaire, c’est que jamais on ne vit acquéreurs plus modestes, annexés plus satisfaits. Ces annexés, ce sont des familles créoles d’origine normande, ravies de redevenir officiellement françaises. L’île Saint-Barthélemy fut offerte par un roi de France à un monarque du nord à l’époque où il était permis aux souverains de disposer à leur gré des peuples et des provinces. Chose admirable, dans cette petite île des Antilles, à Saint-Barthélemy, comme dans toutes les colonies qui nous ont été enlevées, au Canada, à la Nouvelle-Orléans, à l’Ile-de-France, à Saint-Domingue, la population blanche est restée attachée à la France par le cœur et le souvenir. Après bientôt cent ans de séparation, c’est encore notre langue qui est la seule en usage dans les familles riches de l’île, les coutumes, les modes y sont françaises, de même que la majorité des habitans y est catholique. Aussi, le 18 mars 1878, jour que l’on peut appeler le jour du rapatriement, l’île entière a-t-elle acclamé la réapparition du drapeau tricolore. Pas un regard irrité ne s’est détourné de ce spectacle émouvant, personne n’a songé à le fuir pour aller cacher, loin d’une soldatesque en fête, de la honte ou des regrets impuissans. Pourquoi donc, hélas ! toutes les annexions n’ont-elles pas cet aimable caractère !


I

L’île Saint-Barthélemy fait partie du groupe des petites Antilles, appelées également îles du Vent, en raison des terribles cyclones et ouragans qui, de juillet en octobre, y font rage. Elle est située par 65° 12’ longitude ouest et 17° 58’ latitude nord, à quatre lieues au sud-est d’une île également française, appelée Saint-Martin.

Il est bien difficile de se défendre d’un vif sentiment d’admiration lorsque, à la saison des calmes, on se trouve pour la première fois dans la mer des Antilles, au centre de cette belle nappe liquide d’où tant de terres magnifiques émergent couronnées d’une luxuriante végétation, sous un ciel si bleu qu’il en paraît sombre, tellement l’azur y est entassé en couches profondes. Comme pour fêter l’arrivée de l’émigrant au seuil du Nouveau-Monde, une brise enjouée lui apporte de terre les arômes pénétrans de la flore tropicale. La mer, sur une vaste étendue, mise à l’abri des vents du large par une immense ceinture d’îlots, s’est comme transformée en un lac d’azur, d’un calme immuable. Jamais la lumière du jour ne se montre à l’œil de l’homme plus éclatante que sous ces latitudes, et si la clarté est la joie des yeux, c’est là, dans de lumineuses régions