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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mars 1879.

Si l’on veut savoir comment les affaires d’un pays peuvent être gaspillées à plaisir, comment peuvent être perdus ou tout au moins compromis en quelques jours les fruits d’une victoire acquise par des années d’habile modération, on n’a qu’à regarder ce qui se passe en France depuis quelques semaines. Nous assistons en effet à un étrange spectacle, dont l’unique, la triste et désolante moralité, c’est qu’il y a dans les succès une sorte d’ivresse à laquelle les esprits irréfléchis ne savent pas résister, c’est qu’il y a un instant où les partis qui ne se sentent plus contenus se laissent aller au hasard de leurs passions aveugles et tombent fatalement du côté où ils penchent. C’est l’histoire du moment, c’est l’histoire d’hier, ce sera peut-être l’histoire de demain, à moins que, par une dernière et heureuse inspiration de sagesse, on ne s’arrête dans cette carrière où les fautes s’enchaînent avec une cruelle logique, où ce qui semblait acquis est remis en doute et où le mal, sans être encore irréparable, peut devenir de jour en jour plus difficile à réparer.

Certes, s’il y a eu jamais une situation favorable, c’est celle qui a existé un instant il y a deux mois, au lendemain des élections sénatoriales. Le scrutin qui venait de renouveler le sénat dissipait les dernières incertitudes et avait l’importance d’une sanction définitive des institutions. À ce moment, il y a deux mois, — il y a un siècle, pourrait-on dire, tant les événemens marchent vite ! — une sorte de confiance tranquille se manifestait dans les esprits, dans le pays qui se croyait enfin délivré du fantôme des conflits. Dans cette situation nouvelle, telle qu’elle apparaissait, il y avait, on le pensait du moins, toutes les garanties contre des tentatives de réaction désormais impossibles aussi bien que contre des