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Le danger est évité, peut-on dire aujourd’hui, l’écueil a été heureusement franchi. Les organisateurs du procès en seront pour leurs frais d’éloquence, de rapports et de réquisitoire ; la chambre l’a ainsi décidé hier après une grave discussion de quelques heures à laquelle ont pris part M. Léon Renault, le rapporteur, M. Henri Brisson, le président du conseil, M. Waddington, le ministre de l’intérieur, M. Lepère, M. Floquet et même M. Madier de Montjau. — Oui, sans doute, le danger est évité, la sagesse a prévalu. La majorité de la chambre, une majorité qui réunit plus de cent cinquante voix en comptant les voix de la droite, a écarté définitivement cette proposition d’un procès fait pour troubler le pays. Le vote d’hier met fin, si l’on veut, à une mauvaise affaire, à une agitation périlleuse. C’est au bout du compte un succès ; mais il n’est pas moins vrai que jusqu’à la dernière heure la question est restée incertaine, que la commission d’enquête a résisté à tout, même aux instances les plus pressantes du gouvernement, aux considérations les plus graves de politique extérieure et intérieure ; il n’est pas moins vrai que la partie la plus avancée de la gauche, c’est-à-dire en définitive une fraction de la majorité républicaine, a préféré tout braver, même les chances d’une crise imminente de pouvoir, et si le gouvernement, par la fermeté de ses déclarations, a conquis le vote d’hier, la situation générale, il faut bien l’avouer, n’est pas beaucoup plus claire. Les difficultés survivent au scrutin, et les radicaux, dans leur confiance menaçante, n’ont pas caché leur pensée aux ministres qui venaient de parler ; ils ont ajourné le cabinet « à quelques semaines, peut-être à quelques jours, » laissant éclater ainsi involontairement dans un seul mot les faiblesses secrètes du moment présent.

C’est qu’en effet, quelque favorable, quelque rassurant que soit le vote qui vient de trancher cette question irritante de la mise en accusation des anciens ministres, il ne décide rien ; il n’est plus qu’un détail ou incident dans une situation qui subsiste tout entière, dont la gravité, singulièrement caractéristique et redoutable, est dans cet effort tenté depuis deux mois pour précipiter la politique de la France, pour entraîner le régime nouveau dans des campagnes qui seraient des aventures, pour créer ce qu’on appelle une république vraiment républicaine. Qu’est-ce que peut bien être cette république républicaine qu’on nous promet et qui ne s’est manifestée jusqu’ici que par des procédés assez bizarres, sous des figures assez étranges ? C’est sans doute la république telle que l’entend le conseil municipal de Paris, qui devient de plus en plus une succursale radicale du parlement, une troisième chambre politique, un troisième ou un quatrième pouvoir dans l’état. C’est la république qui réclame l’amnistie pour les insurgés de la commune et les rigueurs d’une justice exemplaire contre ceux qu’on appelle les insurgés du 16 mai. C’est la république qui travaille à la