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recherches, dont nous voudrions donner une idée suffisante, en prenant pour guide l’ouvrage récent de M. de Gubernatis[1].


I

Un passage de Tacite explique très bien l’impression que la forêt produisait sur les peuples primitifs : il dit que les Germains considéraient les bois comme des temples, et qu’ils y croyaient toujours présente la divinité sans l’apercevoir. Le culte druidique prouve que les mêmes idées avaient cours chez les Gaulois ; d’après Pline, elles régnaient aussi dans l’Italie et la Grèce des premiers temps. Dans notre Europe, les légendes des nations slaves et germaniques conservent fidèlement, surtout les premières, la tradition de ces croyances. La troupe des Waldgeister, sur laquelle on trouve tant de curieux renseignemens dans les ouvrages de Mannhardt[2], continue de faire de la forêt allemande un lieu plein de mystères. La forêt slave n’est pas moins peuplée d’êtres mystérieux, comme l’attestent quelques chants populaires traduits par M. Dozon. La forêt, sans que le vent souffle, est bouleversée par les dragons aux cheveux blancs, qui passent avec leurs femmes assises dans des chariots d’or et avec leurs enfans reposant dans des berceaux du même métal. La prudente mère de Stoïan, qui sait que les samodives ne sont pas moins redoutables que les dragons, engage son fils à ne pas mener son troupeau dans leur forêt, ou du moins à s’abstenir d’y jouer de la flûte. Stoïan, n’ayant pas tenu compte de ce bon conseil, est attaqué par un jeune homme aux cheveux incultes, qui lutte trois jours contre lui, et qui finit par appeler à son aide ses sœurs, les tempêtes. Elles emportent Stoïan sur le sommet des arbres, se font un jouet de son corps, le mettent en pièces et détruisent son troupeau. « De tout arbre vieux, dit un proverbe russe, sort soit un hibou, soit un diable. » M. Henri de Gubernatis, tandis qu’il était consul à Janina, a remarqué que les Albanais de ces contrées croient qu’il faut se défier de l’ombre des arbres qui vieillissent, habités par l’aërico, démon aérien. Dans la France du XVIIe siècle, on disait : « Ne faites point passer vos troupeaux sous un arbre creux, ce serait en quelque sorte les consacrer au démon. » L’homme a parfois conscience des résistances que la forêt doit lui opposer. Un pallicare dit à la forêt : « Dieu te garde, nous prenons congé de toi, ô forêt, montagne de Rila !

  1. La Mythologie des plantes. — T. Ier, Botanique générale, par M. Angola de Gubernatis, professeur de sanscrit et de mythologie comparée à l’Institut des études supérieures à Florence. Paris, 1878, Reinwald.
  2. Baumkultrus der Germanem, ch. II. — Antike Wald-und Feldkulte.