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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/501

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du soleil, il serait dangereux de cueillir les herbes. Celles qui, sous l’influence de la rosée, image de l’eau purifiante du Jourdain, dans laquelle le Baptiste plongeait les Juifs pécheurs, ont acquis des propriétés particulières, sont connues sous le nom « d’herbes de Saint-Jean. » Telles sont, pour citer les principales, les fougères, l’hypericum et l’armoise. Un décret du concile de Ferrare, au XVIIe siècle, défend de cueillir des fougères dans cette nuit fameuse, ni d’exposer des étoffes à la rosée[1] pour les préserver des insectes qui les rongent. À Salaparuta, en Sicile, l’hypericum perforatum (millepertuis), trempé dans l’huile, est un vulnéraire infaillible. Dans le district de Florence, on emploie la même plante grasse pour la guérison des blessures. À Sarego, en Vénétie, on se munit d’une fiole de la rosée pour y tremper une herbe qu’on nomme basalica, probablement le basilic. Nous apprenons, par les Évangiles des quenouilles (Ve journée), qu’en France on frottait avec les herbes de la Saint-Jean le pis des vaches pour avoir un lait plus abondant, et qu’on mettait ces herbes sous le seuil des étables.

On trouve chez les Allemands des pratiques et des croyances analogues. Le Johannisblut (sang de Jean), cueilli dans la nuit de la Saint-Jean, porte bonheur ; mais cette plante doit être déracinée avec une monnaie d’or. Chez les Scandinaves, les herbes de la Saint-Jean révèlent les événemens futurs. Aussi, en Suède, les jeunes filles mettent sous leur oreiller, la veille de la fête, un bouquet composé de neuf fleurs, cueillies sur des terrains différens, parmi lesquelles se trouve l’hypericum. Leurs songes ne manquent pas de se réaliser. Dans son Histoire comparée des cérémonies nuptiales chez les Indo-Européens, M. de Gubernatis cite des coutumes védiques semblables.

Plus étranges encore étaient, chez les Anglo-Celtes, au temps de Shakspeare, les propriétés de la graine de fougère cueillie au moment précis de la naissance du précurseur. Cette graine, comme quelques herbes, pouvait rendre invisible. Les fées, divinités celtiques, commandées par leur reine, en disputaient la possession aux démons, commandés par Satan, comme à Kief les hommes doivent lutter contre les sorcières pour cueillir la gentiana amarella[2].

Les Slaves ont une idée encore plus haute de la fougère cueillie dans la nuit de la Saint-Jean. Il est vrai que sa fleur ne s’épanouit qu’un instant, à minuit, et que, pour la voir fleurir, il faut triompher

  1. Un chant vénitien dit qu’elle peut être fort utile aux chauves : Anema mia, de la zuca pelada, — Quando te cressara quei bei capeli ? — La note de San Zuane a la rosada, anema mia de la zuca pelada. — En Roumanie, les filles se lavent la tête avec l’eau de la Saint-Jean, pour avoir une belle chevelure.
  2. Bogovitch, Opit slovaria narodnih Nazvanii iùgo-sapadnoi Rossié, Kief, 1874.