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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/652

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balançaient, ainsi que le prouvaient les derniers scrutins, mais le nord avait pour lui l’immigration, qui atteignait en 1850 le chiffre de 370,000 âmes et dépassait 400,000 en 1854. Il avait aussi l’opinion publique, l’appui moral de l’Europe, la presse et les théories humanitaires. Il se sentait soutenu par de nombreuses sympathies, et, bien qu’au fond il rêvât moins la suppression de l’esclavage que la conquête du pouvoir, il adoptait comme mot d’ordre celui qui lui ralliait le plus d’adhérens. Deux nouveaux territoires, le Kansas et le Nebraska, se peuplaient rapidement. Le compromis de 1850 laissait aux habitans le droit de les constituer en états libres ou en états à esclaves. Le sud et le nord rivalisaient d’efforts pour y obtenir la majorité. De part et d’autre, on en vint aux mains, et le nord l’emporta. En 1859, le Kansas vota l’exclusion de l’esclavage. La même année, l’Orégon entrait dans l’Union en qualité d’état libre. Le sud était désormais en minorité ; le pouvoir lui échappait, et l’élection d’Abraham Lincoln allait donner le signal de la guerre civile. Le parti vainqueur inaugurait son avènement par le vote du tarif Morrill, premier acte de la politique protectionniste, qui portait aux intérêts commerciaux du sud un coup terrible en le rendant tributaire des manufactures du nord.

Les Canadiens suivaient d’un œil attentif ces événemens, qui se passaient si près d’eux. Entre le haut et le bas Canada, l’antagonisme persistait et s’accentuait par le fait même d’une union imposée. Le haut Canada, protestant, peuplé de colons anglais, soutenu par le gouvernement, faisait la loi au bas Canada, français d’origine et de cœur, catholique, hostile à l’Angleterre. Québec, Montréal, Kingston et Toronto se disputaient le privilège d’être le siège des pouvoirs publics. Situées toutes quatre sur les rives du Saint-Laurent, reliées aux États-Unis par des voies ferrées, accessibles par le fleuve et les lacs, elles étaient, en cas de guerre, à la merci d’un hardi coup de main. Le gouvernement anglais, frappé de ces dangers et préoccupé des événemens qui se préparaient, fit choix d’Ottawa comme capitale. Située plus avant dans les terres, sur la rivière dont elle porte le nom et qui est elle-même un affluent du Saint-Laurent, Ottawa était moins exposée en cas d’invasion. Pour calmer les mécontentemens que ce choix faisait naître et pour réveiller dans la colonie ces instincts de fidélité dont, nonobstant ses luttes intestines, elle avait souvent fait preuve, le ministère anglais décida que l’héritier présomptif de la couronne, le prince de Galles, se rendrait au Canada. Il devait ensuite visiter les États-Unis. Ce voyage eut lieu en août 1860. L’élection présidentielle agitait tous les esprits, et le prince venait à peine de quitter Washington que le sud proclamait la rupture de l’Union en