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décembre 1860. Le 12 avril suivant, le canon du fort Sumter inaugurait de toutes les guerres civiles de ce siècle la plus longue et la plus sanglante.

Au Canada, l’opinion publique était indécise. Si d’une part on y répugnait à l’esclavage, de l’autre l’adoption par les états du nord du tarif Morrill, vrai point de départ de la lutte, causait un dommage réel au commerce de la colonie. Puis le nord seul était à craindre. C’était lui qui voulait la conquête et l’annexion et qui suscitait des difficultés sur la question des pêcheries. Pas plus alors qu’aujourd’hui le Canada ne désirait une annexion violente ou pacifique. Ses vœux n’allaient pas au delà d’une émancipation progressive, de l’application des doctrines du self-government et d’une union douanière avec les États-Unis, qui lui permettrait d’écouler avantageusement ses produits sur un marché considérable. L’Angleterre envisageait les événemens à un autre point de vue. Bien qu’anti-esclavagiste par nature, elle était libre-échangiste par intérêt ; dès le début elle affirma hautement ses sympathies pour la cause du sud. La rupture de l’Union devait inévitablement affaiblir la puissance navale de sa rivale, diminuer son commerce et lui assurer la libre possession des marchés du sud, que les états du nord lui fermaient par le tarif Morrill. Elle voyait avec inquiétude les rapides progrès des manufactures américaines. Dans le nord, la houille et le fer abondaient. On commençait à exploiter ces ressources naturelles ; l’esprit calculateur et mercantile des Yankees, soutenu par cette volonté âpre inhérente à la race anglo-saxonne, la menaçait d’une concurrence redoutable. Les capitaux affluaient à Cincinnati, Pittsburg, New-York, Chicago. L’exportation des matières premières diminuait ; on les utilisait sur place, on les convertissait en articles manufacturés, au grand détriment des fabriques anglaises. L’adoption d’un tarif protectionniste leur causait un préjudice considérable et donnait aux manufactures des états du nord une prodigieuse impulsion. L’Angleterre n’était pas seule à en souffrir. Les planteurs du sud, obligés par l’élévation des droits de douane à s’approvisionner dans le nord, se plaignaient amèrement du renchérissement subit de tout ce qui était nécessaire à leur exploitation. C’était un impôt que l’on prélevait sur eux au bénéfice du nord, qui s’enrichissait de leur ruine. Le sud en effet ne fabriquait rien. Il produisait en abondance le coton, le sucre, le riz ; il exportait ses produits et tirait tout du dehors, de l’Angleterre surtout, devenue le premier marché cotonnier du monde. Les grandes manufactures anglaises s’alimentaient presque exclusivement dans les ports du sud, avec lesquels elles entretenaient une intercourse maritime considérable.