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Au point de vue commercial, la cause du sud était donc celle de l’Angleterre, et nul n’était plus directement intéressé qu’elle à la soutenir. Au point de vue politique, la victoire du nord constituait une menace à courte échéance pour le Canada. « L’Amérique aux Américains » restait encore, comme en 1823, le mot d’ordre des hommes d’état de Washington. Le sud s’en était servi pour justifier ses agressions contre le Mexique ; le nord l’interprétait dans le sens d’une annexion des colonies anglaises et fermait les yeux sur les attaques connues sous le nom de fenian raids, ouvertement préparées par le parti irlandais contre les frontières du Canada. Aussi dès le début des hostilités, l’Angleterre expédia des troupes sur le Saint-Laurent et mit ses forteresses en état de défense. On sait le concours qu’elle prêta au parti du sud dans l’affaire du Trent et dans celle de l’Alabama ; on sait aussi qu’après une lutte héroïque et désespérée le sud dut subir la loi du nord.

Les vainqueurs ne pardonnaient au gouvernement anglais ni ses sympathies pour leurs adversaires ni la prédominance dans ses conseils de la politique d’intérêts sur la politique de principes. — L’Angleterre n’avait-elle pas depuis longtemps dénoncé le maintien de l’esclavage comme une honte pour la république ? N’avait-elle pas salué de ses acclamations le roman passionné de Mme Beecher Stowe et les diatribes violentes des abolitionnistes ? Lord Russell était connu pour son antipathie contre l’esclavage. Lord Palmerston et M. Gladstone n’y étaient pas moins hostiles, et cependant ces mêmes hommes, alors au pouvoir, n’avaient pas hésité à reconnaître aux confédérés la qualité et les droits de belligérans et à prolonger indéfiniment la guerre en facilitant, dans les ports anglais, l’armement de croiseurs, l’expédition d’armes et de munitions.

La guerre civile terminée laissait donc en suspens de nombreuses complications entre les cabinets de Londres et de Washington. L’attitude menaçante des États-Unis irrités et vainqueurs était de nature à inspirer des craintes sérieuses. D’autre part, le Canada, mécontent, divisé d’opinions, se plaignait amèrement des sacrifices d’argent qu’il avait dû consentir pour la protection de ses frontières et l’entretien dispendieux des troupes anglaises. Il se sentait en outre menacé d’un nouveau danger que l’Angleterre ne réussissait pas à conjurer. Malgré la dette écrasante qui pesait sur ses finances, le cabinet de Washington négociait avec la Russie l’achat de l’Amérique russe. C’était une consécration nouvelle de la doctrine Monroe, un pas de plus vers la possession de l’Amérique par les Américains. Le cabinet de Saint-Pétersbourg s’y montrait favorable. Cette colonie lointaine et déserte était sans valeur pour lui, et il se souvenait des sympathies bruyantes que les États-Unis lui