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Voici les premières îles, puis la forteresse de Blaye, « cette place qui bridait la Garonne et la Saintonge, et qui dans les troubles faisait fort compter avec elle, » dit le duc de Saint-Simon. Ensuite vient le Bec-d’Ambès, au confluent de la Dordogne. On pénètre alors dans la Garonne, dont les rives, garnies de roseaux comme celles du Nil, ont toute la monotonie du fleuve d’Égypte. Enfin la pointe de Bacalan est dépassée, et l’ancre tombe en rade de Bordeaux.

De la mer à Bordeaux, il y a 60 milles marins que les navires à voile franchissent d’ordinaire en deux marées, lorsque les vents sont favorables. Les bâtimens à vapeur devraient faire ce trajet en six heures ; mais la durée en est souvent plus que doublée, soit par le manque d’eau à basse mer, soit par les lenteurs de la navigation fluviale, d’autant plus considérables que les navires sont plus grands.

L’animation de ce beau cours d’eau est très grande. C’est d’abord un va-et-vient continuel des légers navires à vapeur sous pavillon anglais ; ils apportent du charbon de Newcastle ou de Cardiff, et ils emportent du vin, des fruits, tous ces dons du ciel du midi refusés aux froides régions de l’Angleterre. Durant la belle saison passent fréquemment des bâtimens massifs, portant la croix bleue sur fond rouge du pavillon norvégien. Ils apportent les bois des forêts du nord. Plus rares que ces lourdes gabares, arrivent quelques fines goélettes américaines avec trois mâts gréés de voiles latines. Cette voilure, empruntée par la plus jeune à la plus ancienne des marines, nécessite des équipages moins nombreux ; elle mériterait d’être imitée chez nous. Voici des bricks français qui reviennent de la pêche de la morue dans les parages de Terre-Neuve, ou d’Islande ; tandis que des long-courriers partent pour ravitailler nos colonies de la Guyane et de la Calédonie, ou pour commercer au Sénégal, dont les opérations sont concentrées à Bordeaux. Enfin chaque semaine on voit atterrir un ou plusieurs paquebots d’une majestueuse architecture, avec le pavillon postal au grand mât ; les uns viennent des Antilles et de la côte ferme, les autres du Brésil et de la Plata ; quelques-uns passent hardiment par le sauvage détroit de Magellan, et remontent jusqu’au Pérou, en opérant ainsi l’une des plus longues traversées à la vapeur. Ils sont anglais pour la plupart ; il en est d’allemands. Les nôtres sont les plus beaux, les mieux aménagés, mais ils sont les plus rares.

Les premiers navires spéciaux pour les passagers et la poste ont paru dans la Gironde, il y a vingt ans à peine. Depuis cette époque, ce fleuve est devenu un point d’escale très recherché par les courriers transatlantiques, malgré le manque d’aménagemens pour l’arrivée ou le départ des passagers. La création d’un point