douleur de damné, il sentait couler comme une graisse chaude… L’ignition s’infiltrait dans chaque fibre. Et de ce tas de chair et de haillons en feu, des cris de bête fauve enfumée, des appels d’égorgé sortaient du milieu d’une flamme lente, bleuâtre et sinistre. » On pense bien que Monnerol en mourut, et le lendemain, quand on pénétra dans sa chambre, « on ramassa dans la fétidité de cette chambre des parties d’être humain à demi torréfiées, une sorte de charbon léger dans une suie pénétrante, jaunâtre, avec des portions de crâne et des d’abris de vertèbres, comme après des siècles on en trouvait dans la cendre refroidie et graisseuse coulant des bûchers de Madrid dans la terre du Quemadero de la Cruz. » Le médecin prononça là-dessus des mots bizarres. « État idio-électfique, » dit-il en hochant la tête, et vraiment il y avait de quoi ; « développement de gaz inflammatoire, » il voulait sans doute prononcer « inflammable, » et il ajouta : « Je soumettrai le cas à mes confrères qui nient la chose. »
Certes, on conçoit qu’un romancier, quand il approche du dénoûment et qu’il veut à tout prix se débarrasser d’un personnage qui le gêne, le fasse disparaître, et disparaître comme il lui plaît. Qu’il le noie donc, ou qu’il le pende, ou qu’il l’assomme, ou même qu’il le fasse devenir fou ; mais s’il appelle à son secours le « delirium tremens » ou la « combustion spontanée, » qu’il s’épargne du moins la peine de les décrire, car c’est ici la revanche de la science, ou pour mieux dire des spécialistes. Prendre des renseignemens dans un dictionnaire de médecine ou dans un traité de chimie, rien de plus simple, en vérité. Copier des pages entières d’un dictionnaire d’histoire ou d’une encyclopédie des arts et métiers, rien qui semble au premier abord plus facile. Mais ni les dictionnaires, ni les encyclopédies ne peuvent être pratiqués utilement par tout le monde. Tout répertoire est un grimoire : il faut être initié pour le lire seulement, il faut être déjà passé maître pour le comprendre. Autrement il ne vaudrait guère la peine d’étudier. Et ce serait véritablement une duperie que la science s’il suffisait à l’auteur du Troisième dessous ou de l’Assommoir d’ouvrir leur dictionnaire pour en savoir autant que le physiologiste dont la vie s’est consumée dans le travail pénible et malsain du laboratoire, ou que le médecin dont l’expérience, après cinquante ans d’observation au lit du malade, hésite encore et n’ose pas conclure. A chacun son métier. Là est le point faible d’une esthétique naturaliste. Le romancier qui fera profession de parler science ou médecine sera toujours aisément surpris en flagrant délit d’erreur par le médecin ou le savant. Je ne crois même pas m’avancer beaucoup en affirmant a priori que le moindre zingueur ou le moindre forgeron trouverait plus d’une erreur dans le livre de M. Zola. Et c’est là justement pourquoi, quand cette fièvre de naturalisme sera tombée, de