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même il n’y aurait pas une justesse absolue dans l’appréciation des objets.. Enfin, de même que le contrat est le fond théorique de la justice entre les personnes, il est aussi le meilleur moyen pratique de réaliser la justesse même dans les choses. Que les personnes commencent par reconnaître réciproquement leur valeur morale, puis d’un commun accord fixent la valeur matérielle des objets ; par cela même que cette appréciation sera réellement libre de part et d’autre et établie après un débat contradictoire, elle sera plus vraie. La distribution des choses est donc plus proportionnelle quand elle se fait librement et par contrat ; l’échange des choses est plus égal quand il résulte d’un contrat libre.

À ce point de vue, qui caractérise l’esprit moderne, toutes les relations entre les hommes apparaissent comme réductibles à un contrat idéal par lequel les libertés reconnaissent leur égalité. Nous élevons cette idée directrice au-dessus de tous les faits qui semblent la contredire et nous en faisons notre type d’action. Ainsi nous sommes justes, s’il est vrai que, selon l’étymologie du mot, la justice consiste à se tenir dans le droit. Se tenir debout dans sa liberté en face d’une autre liberté, c’est ne point s’abaisser devant les autres, c’est ne point abaisser les autres devant soi ; seule attitude qui convienne à des hommes, dont la tête est faite pour regarder non point en bas, mais en face et en haut.

L’histoire s’est conformée à la logique : l’évolution des états et des individus dans le sens de la justice contractuelle est un fait, et ce fait a été constaté avec plus ou moins de clarté par les plus récens observateurs ou penseurs en France et en Angleterre. Nos écoles socialistes, après avoir cherché d’abord leur idéal dans l’organisation de la justice distributive, ont fini par aboutir avec Proudhon à l’idée du contrat et de la mutualité. Réciprocité des libertés, voilà, selon Proudhon, la loi qui doit régir les personnes ; réciprocité des services ou égalité dans l’échange des produits, voilà la loi qui doit régir les biens ; c’est dire que les deux formes de justice qui conviennent aux sociétés modernes sont la justice contractuelle pour les personnes et la justice commutative pour les choses. Quelles que soient les erreurs du mutuellisme, l’idée première en est conforme à l’esprit moderne. Tout en effet tend à prendre dans la pratique la forme de la mutualité : assurances mutuelles, enseignement mutuel, associations mutuelles de production, de consommation, de crédit, justice mutuelle où le juge et celui qui est jugé sont pris dans la masse de la nation, si bien que les rôles peuvent du jour au lendemain s’échanger.

Au-delà de la Manche, l’école naturaliste et l’école historique constatent également dans les états modernes la même loi de progrès vers l’idée du contrat. L’intermédiaire entre l’ancienne justice