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qu’on la trouvera tout simplement dans la différence des hommes qui ont eu charge de les gouverner.

L’un de ces hommes, M. Burgers, dernier président du Transvaal, ex-ministre protestant, esprit trop cultivé, homme à projets et à programmes, qui semble avoir fait en partie son éducation politique dans la lecture rétrospective d’une certaine presse européenne d’il y a trente ans, a eu le tort d’oublier, qu’il avait à gouverner une population de fermiers-hollandais, et non une population de clubistes européens amoureuse de bannières, de déclarations de principes et de décrets à surprise. Par un concours de circonstances fatales à la république du Transvaal, M. Burgers succédait à un esprit quelque peu fait comme le sien. Prétorius le jeune, qui avait eu le tort de laïciser le fanatisme républicain de son remarquable père et sous qui la débâcle avait déjà commencé.. Comme le jeune Prétorius, M. Burgers appartenait à une petite secte politique qui avait conçu le projet trop grandiose de débarrasser l’Afrique australe de la domination anglaise par le seul magnétisme de l’idée républicaine. Vous voyez d’ici le personnage : tête enthousiaste, cœur généreux, intelligence légèrement chimérique. Pour réaliser ce miracle, il fallait que la république du Transvaal éblouît ses adversaires de ses lumières ; il la lança donc à toute vapeur dans la voie du progrès, dressa un vaste plan pour la création d’écoles sur le modèle le plus moderne, négocia un emprunt en Hollande pour la construction d’un chemin de fer allant de Pretoria aux possessions portugaises de la baie de Lagoa. Le moment était peu favorable. M. Burgers ne réussit donc pas à donner au Transvaal le trésor et l’armée qui lui manquaient, mais il fit frapper avec l’or récolté dans la colonie une certaine quantité de monnaie à son effigie, et il gratifia la république d’un drapeau national à la veille de sa disparition. L’arrivée de sir Théophile Shepstone mit fin à tant de beaux projets. Tout autre a été M. Brand, président actuel de l’état d’Orange. Celui-là n’a jamais perdu de vue qu’il n’avait à gouverner, qu’un tout petit peuple dans un tout petit coin de l’univers, et que, ce petit peuple se composant non de beaux esprits, mais de simples fermiers, il ne devait pas concevoir et caresser des ambitions plus hautes que les siennes. La récompense de cette modestie, c’est qu’il a réussi à vivre en bons termes avec l’Angleterre à résoudre à l’amiable et non sans profit pour son état les différends qui s’étaient élevés pour la possession des champs de diamans, à délivrer la république de toutes dettes, à débarrasser son territoire, des indigènes et à assurer les frontières contre toute agression. Dans l’Afrique australe comme ailleurs, le sort des états tient pour une grande part au caractère de ceux qui les gouvernent, et l’on a oublié de tenir compte de cet élément lorsqu’on a porté contre les boers l’accusation d’incapacité politique.