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Ces accusations ne sont pas les seules, car les pauvres boers sont entourés d’ennemis. L’indigène, qui les hait, les combat plus volontiers qu’il ne les sert, et l’Anglais, toujours en quête de confort, qui fait ses cinq repas par jour et s’abreuve largement de bières fortes, méprise les habitudes de chiche économie de ces paysans, qui mangent et boivent le moins possible et portent leurs habits jusqu’à ce qu’ils tombent en loques. Il n’y a pas de commerce social entre les deux populations ; épouser une femme boer est considéré par un Anglais comme la dernière des mésalliances. Il était enfin réservé aux boers de trouver leurs critiques les plus acerbes parmi leurs compatriotes. L’habitant de la vieille colonie du Cap, le Dutch Africander, initié à un bien-être dont le pauvre boer reste fort ignorant dans ses solitudes du Transvaal et de l’Orange, s’en, gausse à plaisir, le traitant comme un personnage suranné, sentant le moisi, la ladrerie et les préjugés, mais ce dédain n’est rien encore comparé à celui que lui prodigue l’immigrant hollandais de date récente. Ce dernier, enfant du siècle qui apporte avec lui les prétentions de la civilisation moderne, se trouve en face des boers dans la situation, de ce personnage d’un vaudeville contemporain qui se voit réclamé comme neveu, cousin ou allié, par une foule de rustres dont il ne soupçonnait pas l’existence, et il ne se sent aucune envie de tirer vanité de cette consanguinité trop authentique. Le langage colonial a fait droit à cette répugnance, en réservant aux seuls boers le nom de dutchmen, et en appelant hollander l’immigrant néerlandais contemporain. Pour le hollander, le boer est un exemplaire de tous les vices bas ; il n’est pas seulement malpropre, avare et inhumain, il est sordide, fripon et couard. Sur cette couardise surtout les propos railleurs ne tarissent pas, et il court à ce sujet quantité d’histoires amusantes dans le goût des facéties populaires de tous les pays. On vous raconte par exemple, nous, dit M. Trollope, que, vingt boers s’étant réunis prudemment pour arrêter un seul Cafre, celui-ci les mit en fuite en leur présentant à bout portant une bouteille de soda water, ou bien qu’une autre fois des boers, ayant loué un Cafre pour se battre à leur place, tournèrent ; les talons dès qu’ils virent qu’il faudrait soutenir leur champion ; des sujets de dessins charivariques tout trouvés, comme on voit, pour un Cham ou un Bertall africain. Ce mépris, d’ailleurs, le boer le rend avec usure, car il y a entre lui et le hollander cette différence à son avantage qu’il est toujours d’ancienne extraction sous son linge sale et ses habits râpés, tandis que le hollander est presque toujours un homme nouveau qui porte des chemises blanches. Vous attendiez-vous à trouver au bout de l’Afrique la querelle des anciennes et des nouvelles couches sociales ?

Si vous avez visité les Pays-Bas, vous n’aurez pas manqué