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Zoulous et qu’ils ont répondu en demandant le rétablissement de leur ancienne liberté pour prix de leur action. L’Angleterre se conciliera-t-elle jamais ces cœurs pleins de rancune ? La tâche est difficile, tant les antipathies ont été poussées loin. Le gouvernement colonial se doit de l’accomplir cependant, car, si les boers ont besoin de lui, il a encore plus besoin d’eux. Sur les trois cent cinquante mille colons de race blanche qui sont répandus dans l’Afrique australe, les Anglais comptent à peine pour cent mille. Les sujets de l’Angleterre dans ces colonies sont donc Hollandais et non Anglais. Non-seulement ces sujets sont Hollandais dans le présent, mais ils le seront encore dans l’avenir, car on ne peut compter ici sur aucun de ces mouvemens d’immigration si fréquens dans notre siècle qui ont changé la physionomie des sociétés coloniales en noyant le fonds premier de la population sous des flots d’hommes de races différentes. L’accroissement de la population blanche dans l’Afrique australe n’est que l’accroissement de l’élément colonial premier, l’immigration européenne n’y a participé que d’une manière fort secondaire. L’Afrique australe, en effet, toute riche qu’elle soit, n’a rien qui attire l’immigrant anglais. L’ouvrier se détourne d’un pays où les villes sont rares et chétives, et où il rencontrerait la redoutable concurrence du travail indigène, ; l’agriculteur se détourne d’une terre qui n’est fertile que par places et dont toutes les parties excellentes sont déjà découpées en domaines. L’Angleterre ne peut davantage espérer de se délivrer de ses sujets en relâchant le lien qui unit ces colonies africaines à la mère patrie comme elle l’a fait en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Canada. La vieille colonie du Cap seule jouit du plein gouvernement d’elle-même, encore l’Angleterre est-elle obligée d’y faire les frais de l’occupation militaire, ce qu’elle n’a fait dans aucune autre des colonies affranchies. Elle ne peut se délivrer de ses sujets précisément parce qu’elle n’est pas sûre de leur fidélité. Supposons réalisé ce plan de confédération présenté naguère par lord Carnarvon et discuté au parlement sous le nom de permissive bill for south African confederation, quels embarras, s’ils persistaient dans leurs rancunes, ces boers méprisés disposant en maîtres des colonies du Transvaal et de l’Orange, ne pourraient-ils pas créer à son autorité dans un parlement central qui serait anglais de nom et de formes, mais hollandais de composition, d’esprit et de politique ! La liberté constitutionnelle de l’Afrique australe peut seule débarrasser l’Angleterre de la lourde charge du gouvernement de ces colonies ; or, si la conciliation des boers n’est pas la seule condition de l’établissement de cette libertés elle en est une des plus importantes, et cerlainement la plus difficile et la plus délicate.


EMILE MONTEGUT.