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LA
RÉCEPTION DE M. RENAN
À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Un grand homme d’état disait dernièrement que prononcer ou entendre des discours est une occupation subalterne et un divertissement de deuxième classe. Faut-il croire que sous peu cette occupation et ce divertissement seront passés de mode ? Tout semble prouver qu’on les goûtera longtemps encore, en France du moins. La foule qui se pressait le jeudi 3 avril sous la coupole trop étroite de l’institut en fait foi ; elle témoignait par son attention comme par son empressement que les fêtes de la parole sont dans notre pays un plaisir vraiment national et que, « si les Grecs avaient les jeux olympiques, si les Espagnols ont les combats de taureaux, la société française a les réceptions académiques. » C’est sans doute une belle chose qu’un combat de taureaux éclairé par le soleil de Madrid ou de Séville. Un tournoi d’éloquence, où les armes courtoises sont seules admises, offre aussi quelque intérêt, sans qu’il s’y passe rien qui puisse offenser les âmes et les yeux sensibles. Le sang n’y coule point, les blessures qu’on s’y fait ne sont que des égratignures qui ne tirent pas à conséquence ; le spectacle n’est attristé par aucune mort d’homme, ni de bête, et jamais on ne vit récipiendaire sortir du Palais-Mazarin emporté sur un brancard. Oignez vilain, il vous poindra, dit le proverbe ; mais les vilains sont sévèrement exclus de la lice académique, et tout s’y termine en douceur, comme il convient à une assemblée d’élite, qui tient école de bon ton, de bonnes manières et de beau langage.

La réception du 3 avril ne ressemblait pas du reste à toutes les réceptions académiques ; elle excitait un intérêt tout particulier. Le public