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Le lendemain 9 mai, coup de théâtre ! Au moment où, sous la présidence de Billioray, la séance s’ouvre par un discours d’Arthur Arnould, qui se plaint, comme un simple député, de l’insuffisance des comptes rendus du Journal officiel, Delescluze se précipite : « Vous discutez quand on vient d’afficher que le drapeau tricolore flotte sur le fort d’Issy ! Il faut, citoyens, aviser sans retard. » La nouvelle était grave en effet, l’armée française, occupant le Mont-Valérien et s’étant emparée du fort d’Issy, était maîtresse, à jours comptés, de l’enceinte sud-ouest de Paris. Le discours de Delescluze fut véhément : « Il faut prendre des mesures immédiates, décisives. La France nous tend les bras ; si nous avons des subsistances, faisons encore huit jours d’efforts pour chasser ces bandits de Versailles ! » Il récrimine : que fait la commune, qu’a fait le comité, central ? « Votre comité de salut public est annihilé, écrasé sous le poids des souvenirs dont on le charge, il ne fait même pas ce que pourrait faire une bonne commission exécutive. » Tout cela est vrai ; c’est un éclair de bon sens au milieu de cette nuit faite d’ambitions folles et d’incapacités sans pareilles. — On reconnaît le mal ; mais qui donc pourrait y porter remède ? Il n’y a là que des impuissans.

Ils sentent la trépidation du sol qui va manquer sous leurs pieds. Leur résistance militaire s’effondre. Après dix jours de dégoût, de déboires, de colère, Rossel vient de donner sa démission. Il a demandé à être arrêté, puis s’est ravisé, et s’est paisiblement éloigné en emmenant avec lui le membre de la commune que l’on avait préposé à sa garde. La commune éperdue se forme en comité secret, et « pour sauver la patrie » adopte les résolutions suivantes : — Remplacer le comité de salut public actuel, — nommer un délégué civil à la guerre, — nommer une commission chargée de rédiger une proclamation, — ne se réunir que trois fois par semaine en assemblée délibérante, — rester en permanence dans les mairies pour pourvoir souverainement aux besoins de la situation, — créer une cour martiale, — mettre le comité de salut public en permanence à l’Hôtel de Ville. — En conséquence de ces décisions, le comité de salut public est modifié dans un sens absolument terroriste, et Delescluze est nommé délégué civil à la guerre. Pourquoi ? Peut-être parce que son père, ancien sergent des armées du premier empire, était mort pensionnaire à l’Hôtel des Invalides. L’inflexibilité des opinions politiques ne suffit pas pour « organiser la victoire ; » il faut être plus qu’un sectaire pour combattre et vaincre la légalité ; Delescluze fit cette expérience sur lui-même, expérience pénible à laquelle il ne voulut pas survivre. La commune répondit à la prise du fort d’Issy en décrétant la démolition de la maison de M. Thiers, vengeance puérile et tellement médiocre que