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pays auxquels on vendait plus de denrées ou de marchandises qu’on n’en achetait, et dont on pouvait réclamer, en fin d’année, un solde en numéraire, au lieu d’avoir à le leur payer. Ce temps n’est plus. Aucun gouvernement ne tient compte aujourd’hui de la balance du commerce qu’à titre de renseignement statistique. Personne aujourd’hui, protectionniste ou non, ne s’imagine qu’un pays, dans l’ensemble de ses transactions commerciales, puisse vendre sans acheter, c’est-à-dire exporter sans importer ; personne aujourd’hui n’ignore qu’à l’extérieur comme à l’intérieur tout commerce se résout en simple troc ; que les marchandises se soldent définitivement en marchandises ; que le numéraire, simple instrument d’échange, ne figure dans ses transactions que comme appoint ; qu’à ce titre le même écu suffisant à faire circuler dans un temps donné un million de choses différentes, la quantité de numéraire qui passe alternativement d’un pays dans un autre pays est presque toujours insignifiante ; et qu’en tout cas, le numéraire étant en quelque sorte un liquide qui cherche sans cesse son niveau, aucune puissance humaine ne saurait ni le retenir là où il surabonde, ni l’empêcher d’affluer là où le besoin s’en fait sentir.

Cela étant, je suis donc fondé à dire qu’aujourd’hui, dans l’état présent des esprits et de la science, il n’existe, de l’aveu des protectionnistes eux-mêmes, entre les principes qui régissent le commerce extérieur et ceux qui régissent le commerce intérieur, aucune différence réelle, essentielle, intrinsèque ; que tout se réduit en question de plus ou de moins ; que, la libre concurrence étant le droit commun, et la protection, sous une forme quelconque, l’exception, la différence purement relative est dans le nombre des exceptions, nombre qui peut être tel, il est vrai, pour certains esprits, qu’en point de fait, l’exception supplante la règle, et garde le haut du pavé dans leur argumentation ; qu’enfin la raison même de cette différence est principalement, sinon uniquement politique ; qu’elle tient sinon uniquement, du moins principalement, à la diversité d’intérêts qu’entraîne ou peut entraîner l’indépendance réciproque des états.

Ces vérités, qu’en thèse générale aucun protectionniste ne conteste désormais, il va sans dire que les amis de la liberté industrielle et commerciale ne les contestent pas non plus en ce qu’elles ont de favorable à leur cause ; mais les contestent-ils en thèse générale, dans ce qu’elles auraient de restrictif ? Professent-ils le principe de la libre concurrence, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, dans toute la rigueur du terme et de l’idée ? N’admettent-ils dans aucun cas de tempéramens ni d’exceptions ?

C’est un reproche qu’on pouvait peut-être adresser aux premiers économistes, Quesnay, Gournay, l’abbé Baudeau, Mercier de la