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Il y a eu en tout cela, il faut le dire, une certaine hésitation, un certain trouble de direction ; on a manqué de sang-froid au feu, et le résultat a été une de ces scènes qui sont un scandale public, un de ces déchaînemens qui ne peuvent que déconsidérer une assemblée. Un instant la chambre s’est trouvée transformée en un cirque tumultueux. Les ministres ont été assaillis d’outrages et de menaces sur leurs bancs ; les injures les plus grossières ont été échangées, et peu s’en est fallu qu’on n’en vînt à se colleter dans l’enceinte législative. Les coups auraient peut-être suivi les paroles si quelques prudens médiateurs n’avaient séparé ces représentans de la souveraineté nationale tous prêts à offrir un spectacle peu édifiant. M. le président de la chambre a cru devoir à la dignité du parlement de jeter un voile sur cette partie de la séance, d’en supprimer la reproduction officielle, et il n’y a certes rien à dire. Le fait ne reste pas moins tout entier avec son attristante signification et sa pénible moralité. Les membres de la chambre qui de temps à autre, malheureusement trop souvent, se laissent emporter à ces violences, ne peuvent s’y méprendre : ils ne passent pas pour des héros d’Homère quoiqu’ils échangent d’injurieux défis, et ils sont jugés avec sévérité par le sentiment public, qui leur demande d’être des députés sérieux, de travailler sérieusement aux affaires du pays, non de se battre et de s’offrir en spectacle.

Que les bonapartistes mettent leur zèle et leur plaisir à multiplier ces scènes, ils sont un peu dans leur rôle : ils se figurent préparer, par la déconsidération du régime parlementaire, la réhabilitation de l’empire ; ils espèrent, par les troubles stériles et les excès de parole, dégoûter le pays des institutions libres. Ils croient relever la puissance de l’autocratie césarienne en constatant, en démontrant l’impuissance du parlement. C’est leur calcul, ils le cachent à peine. C’est aux républicains de savoir s’ils tiennent à jouer le jeu de leurs adversaires. S’ils ont quelque intelligence de la situation, ils doivent comprendre que le meilleur et même le seul moyen de servir la république aujourd’hui est d’opposer une imperturbable modération aux violences, de maintenir à tout prix l’honneur, l’intégrité, les garanties du régime parlementaire malgré les bonapartistes, contre les bonapartistes et au besoin au profit des bonapartistes comme au profit de tout le monde. C’est le rôle d’une majorité sérieuse, et la première condition pour faire respecter le régime parlementaire, c’est de le respecter soi-même, de ne pas troubler sans cesse l’équilibre des pouvoirs, de laisser au sénat sa liberté, au ministère sa part légitime d’initiative et d’indépendance, de ne point essayer en un mot de faire d’une république libérale, constitutionnelle, une république de parti ou de secte, d’exclusion ou de persécution. Les républicains veulent se défendre contre les retours offensifs de l’empire, ils ont raison, et ils n’ont pas de moyen plus effi-