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royaliste, qui se confondait chez lui avec un sentiment profond de la légalité et du droit. Sa première apparition à la tribune, éclairée de ces souvenirs, reprend son vrai caractère. Berryer, à l’occasion de l’adresse respectueusement révolutionnaire des 221, se levait pour défendre la royauté qu’il croyait menacée, la prérogative de la couronne qu’il voyait mise en doute, bien plus que pour sauver un ministère dont il connaissait mieux que tout autre les dangereuses faiblesses. Il intervenait non en champion aristocratique d’idées surannées, mais en politique constitutionnel essayant encore de conjurer la guerre des pouvoirs, et il faisait cette tentative désespérée avec un éclat d’éloquence qui ressemblait à une révélation, qui arrachait à Royer-Collard ce mot fameux : « C’est plus qu’un talent, c’est une puissance[1]. »

Par une particularité de ces scènes émouvantes de la vie parlementaire d’autrefois, deux hommes appelés à des fortunes bien diverses, Berryer et Guizot, élus en même temps, venaient d’entrer ensemble à la chambre, et ils débutaient le même jour, dans la même discussion, l’un en combattant l’adresse des 221, l’autre en la soutenant. Au moment où ils commençaient ainsi tous les deux leur carrière, et où ils se rencontraient pour la première fois face à face, Guizot évidemment ne désirait pas plus que Berryer une révolution ; mais, sans la désirer, Guizot était prêt à l’accepter avec toute cette génération libérale dont il était un des chefs, dont il représentait les idées. Berryer la redoutait sincèrement, cette révolution qu’il voyait grandir dans les malheureux conseils du roi autant que dans les excitations publiques ; il aurait voulu l’empêcher, il n’avait à lui opposer qu’une prévoyance inutile, et lorsque moins de cinq mois après sa première apparition à la tribune, étant à Augerville, la résidence de son choix, il ouvrait un matin de juillet le Moniteur, qui lui portait les « ordonnances, » il n’avait pas un doute, pas une illusion. Il sentait que la fatalité venait de se déchaîner encore une fois dans les affaires de la France. Avant le coucher de ces « trois soleils de juillet, » dont Chateaubriand a parlé, tout était accompli. Berryer avait cette destinée singulière et cruelle de n’être entré dans la politique active que pour assister aux derniers instans d’un gouvernement qu’il aimait, pour voir s’évanouir presque aussitôt ce rêve d’une monarchie traditionnelle et libérale qu’il aurait voulu servir. Il n’avait paru qu’un seul jour à la tribune du parlement comme à une brèche déjà menacée de l’assaut : il est resté sur cette

  1. Villemain, dans son livre sur M. de Chateaubriand, raconte que Royer-Collard, au sortir de la séance où il venait d’entendre Berryer, disait à ses amis : « Cet homme est une puissance ; mais cela ne doit pas nous détourner de frapper vite et fort. Ne laissons pas à la folie et à l’incapacité de quelques hommes le temps de détruire la discussion, dans un pays où il se trouve de tels talens pour défendre la royauté. »