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brèche par où venait de passer une révolution, il y est resté malgré tout, enchaîné par la fidélité à une ruine ! C’est son attitude dans l’histoire ; c’est la vive et constante originalité de celui qui, pendant trente-huit ans, de 1830 à 1868, à travers tous les régimes, a résolu le problème d’être l’homme d’un parti, l’homme d’une cause vaincue, sans cesser un moment d’être l’homme de son temps et de son pays.


II

La révolution de 1830, en renouvelant tout en France, institutions, dynastie, conditions de la vie publique, et en entreprenant de tout renouveler sans rien bouleverser, cette révolution créait assurément une situation aussi compliquée, aussi difficile qu’imprévue à tout le monde, à Berryer plus qu’à tout autre.

Que serait devenu Berryer si la restauration eût continué à vivre régulièrement, paisiblement, au lieu de se perdre elle-même par une provocation si promptement suivie d’une explosion populaire ? Son avenir semblait tout tracé. Il eût été sans doute un des plus éminens serviteurs de la monarchie à laquelle il avait donné sa jeunesse, brillant au premier rang dans cette famille de royalistes constitutionnels qui a compté les de Serre, les Laferronays, les Martignac, les Hyde de Neuville, les Chateaubriand. Il eût été un jour ou l’autre un beau garde des sceaux, sous une royauté consentant à vivre avec son prestige traditionnel, au milieu des mœurs libérales d’une France nouvelle. Le coup de foudre de juillet lui ouvrait à l’improviste une carrière toute différente et le rejetait dans l’inconnu en le plaçant brusquement en face d’une révolution qui venait d’emporter un trône, — qui pouvait aussi menacer la société française tout entière. Lamennais, qui le suivait toujours avec amitié et qui n’était pas encore engagé dans la voie révolutionnaire où son violent génie allait l’entraîner, Lamennais écrivait du fond de sa retraite de La Chesnaie à M. de Vitrolles : « Il faut savoir se résigner à ce qui est inévitable et regarder au delà du moment présent. Si quelque chose peut assurer les maux qui nous menacent et les aggraver, c’est de travailler à diviser les esprits de plus en plus, à propager la crainte, à augmenter le découragement… Pour moi, je crois que tout honnête homme, oubliant ce qui ne peut plus être sauvé, doit, quelles que soient ses opinions et même ses prévoyances, soutenir le pouvoir qui maintient encore et peut seul aujourd’hui maintenir un reste d’ordre. Montrez, je vous prie, cette lettre à Berryer et faites-moi part tous deux de vos réflexions… » Au moment où Lamennais parlait ainsi (27 août 1830), Berryer avait