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quand je suis convaincu, je ne puis m’empêcher de parler avec chaleur ; mais il n’y a pas de talent, il y a de la conviction ! » Il avait du reste le sentiment le plus élevé de l’honneur de sa profession, qu’il exerçait avec autant de délicatesse que de désintéressement.

On lui avait envoyé un jour un pauvre gentilhomme breton qui voulait absolument avoir le grand avocat légitimiste pour une modeste cause où sa petite fortune était en jeu. Berryer se serait peut-être bien passé d’aller au fond de la Bretagne plaider un petit procès. On faisait appel à son obligeance, il ne croyait pas pouvoir refuser. Il ne voulait pas faire payer son intervention ce qu’elle valait, et il ne voulait pas non plus, par un refus de tout émolument, humilier le brave gentilhomme qui avait plus d’honneur que de bien. Il s’y prit d’une étrange façon pour tout concilier. Il avouait d’un air de bonhomie embarrassée à son client que cela allait lui coûter bien cher. Le pauvre plaideur, non sans inquiétude, se soumettait à tout. « Oh ! très cher, très cher, ajoutait gravement Berryer, cela va vous coûter au moins 500 francs ! » Et il prenait la poste pour aller plaider au fond de la Bretagne une modeste cause, dépensant en voyage bien plus qu’il n’avait reçu. Une autre fois, il refusait une somme assez forte que lui portait un homme injustement accusé, qu’il venait de sauver du déshonneur et de la mort, et remettait la somme en dot à la fille de son client. Il avait de ces traits de désintéressement et de délicatesse qui tenaient à une nature libéralement douée.

C’est qu’en effet cette nature avait tous les dons heureux et une inépuisable sève. Dans l’orateur, dans l’avocat, il y avait un homme au sens le plus large et le plus généreux du mot, un homme alliant la grâce à la supériorité virile, la cordialité séduisante à la force, la simplicité à la noblesse du cœur. Au milieu de cette vie de travail, de luttes, de succès, d’émotions, qu’il menait sans cesse, ayant à conduire une multitude d’affaires, à défendre sa cause, à se débattre parfois avec ses propres amis qui ne lui épargnaient pas les contrariétés, Berryer trouvait du temps pour tout. Il avait tous les instincts et les goûts des riches organisations. Il se plaisait aux sociétés choisies, et peu d’hommes ont été plus répandus, plus entourés de dévoûmens affectueux, surtout de sympathies féminines. Il aimait le monde intelligent et élégant, il aimait les arts et les artistes, en grand artiste qu’il était lui-même. Il n’était peut-être pas également sensible à tous les arts ; il avait tout au moins sa manière de sentir la peinture, il la goûtait en personnage de l’action, pour les figures ou les scènes de l’histoire qu’elle lui représentait. Il avait chez lui des bustes, des portraits, des tableaux qui étaient des souvenirs. Sa vraie passion était la musique : il l’aimait