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fois à l’assemblée constituante et il l’avait gagnée sans effort devant la république ; il la retrouvait sous un pouvoir qui se disait conservateur, qui prétendait néanmoins trancher dans son omnipotence, en dehors de toutes les garanties judiciaires, les plus délicates questions de propriété et de droit. « C’est une protestation que j’élève, s’écriait-il, au nom de la robe que je porte, au nom du barreau auquel j’appartiens depuis quarante ans, au nom de la magistrature gardienne de ces lois que j’ai défendues envers et contre tous pendant ma vie entière. Je proteste au nom des institutions et des droits les plus fondamentaux de mon pays, au nom de ces vieux murs où, pendant des siècles, on a rendu la justice et consacré les principes protecteurs de la société… Qu’est-ce à dire ! Est-ce que nous aurions chez nous une autorité, un pouvoir quelconque qui serait placé au-dessus de toutes les lois ? .. » Et montrant d’un geste puissant la Sainte-Chapelle, il demandait si on ne savait plus ce que c’était que la justice dans le pays où avaient paru les premiers justiciers du monde, où le plus pieux des rois, — « celui qui priait là-bas, » — faisait du titre de grand-justicier son plus noble titre. Puis rappelant et Tibère et Tacite, il reproduisait le langage expressif et concis de l’historien romain : « Tibère était pauvre, Tibère avait peu de biens en Italie ; mais quand il était en contestation avec des particuliers, les tribunaux et la loi prononçaient, forum et jus ! — Voilà ce qu’est le droit dans tous les temps, et l’on a loué un tyran d’avoir su respecter ce principe fondamental ! » Il perdait, il est vrai, la cause devant le pouvoir spoliateur ; il l’avait gagnée devant l’opinion réduite au silence, devant la magistrature elle-même. Celui qui avait soutenu de sa parole un Napoléon contre les juges de 1840 mettait une sorte d’orgueil à être le défenseur des princes d’Orléans contre ce Napoléon devenu tout-puissant, qui réalisait avec une si triste fidélité un autre mot de Tacite, ce mot cruellement vrai : « On hait qui l’on a offensé ! »

Plus d’une fois dans cette vie judiciaire où il cherchait un refuge et une force pendant l’empire, Berryer avait l’occasion de laisser éclater une parole libre. Il la saisissait comme s’il eût voulu de temps à autre interrompre la prescription. Tantôt c’était à propos d’une médiocre affaire de « correspondances avec des journaux étrangers » qu’il agrandissait en combattant la violation du secret de la vie privée par la police comme il avait combattu l’invasion de l’arbitraire dans la vie civile par la confiscation. Tantôt c’était à propos de la poursuite dirigée contre M. de Montalembert pour une véhémente apologie des institutions libres de l’Angleterre. Un autre jour, c’était dans un procès soutenu par M. Dupanloup qu’il se donnait libre carrière ; plus tard ce fut pour la défense d’un comité