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de liberté électorale, le « comité des treize. » La politique, il la retrouvait comme avocat partout sur son chemin, et il se gardait bien de l’éviter. Il faisait quelquefois frémir les juges, il les embarrassait ou il les dominait de son imposante autorité. Il passionnait les auditoires qui éclataient en applaudissemens, et comme un président lui recommandait de s’abstenir de tout ce qui pouvait provoquer le public à manquer de respect à la justice, il répliquait d’un accent foudroyant : « Je ne croyais pas, en défendant la liberté, provoquer un manquement de respect à la justice. »

Il n’était pas facile de l’arrêter lorsqu’il marquait d’un trait brûlant les apostasies intéressées, ou lorsque, saisissant l’arbitraire sous toutes ses formes, dans ce qu’il avait de plus criant, il s’écriait avec émotion : « Allez en Afrique, allez à Lambessa, voyez l’origine, la situation de ceux qui y sont transportés… là, à l’heure où nous parlons, il y a un homme qui a été condamné à quinze jours de prison par la justice, et sur son dossier la main d’un ministre a écrit : dix ans de Lambessa ! Vérifiez le fait, monsieur le procureur général, je vous y invite. » Il n’était pas aisé de retenir sa parole lorsqu’en plein tribunal il s’écriait : « Que parle-t-on des nécessités d’un pouvoir nouveau, de la patrie sauvée ? Nous avons trop vécu au bruit des changemens politiques pour que nos oreilles soient émues à ces chants de victoire. Trop de fois et depuis trop longtemps nous avons entendu ces cris : Montons au Capitole, la patrie est sauvée ! Ce que nous avons appris dans les épreuves de toute notre vie, c’est qu’on ne raffermit pas une société ébranlée, c’est qu’on ne sauve pas l’avenir d’un pays par les abus de la force, par la violation des lois, ou par de complaisantes faiblesses de la justice… » Il était difficile que les juges eux-mêmes ne fussent pas gagnés par l’émotion quand cet homme que l’âge commençait à atteindre couronnait sa défense de Montalembert en disant : « Ah ! messieurs, ne nous faites pas un crime de nos légitimes regrets. Nous vieillissons, nous n’avons plus qu’une chaleur qui s’éteint, laissez-nous mourir tranquilles et fidèles. Nous sommes assez malheureux de voir notre cause, notre sainte et glorieuse cause, trahie, vaincue, reniée, insultée. Laissez-nous croire que nous pouvons lui garder au fond de nos cœurs un inviolable attachement, laissez-nous-le penser, laissez-nous-le dire ! laissez-nous garder et rappeler le souvenir de ces grands combats de la parole qui nous ont fait connaître, qui nous ont fait aimer les généreuses institutions que nous avons défendues, que nous défendrons toujours, auxquelles nous serons fidèles jusqu’à notre dernière heure. »

Ces paroles, il est vrai, étaient le plus souvent condamnées à se perdre entre les murs d’un tribunal. Elles n’allaient plus retentir