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caractérisées et précises, les formes s’accusent, s’enroulent, expirent sans être jamais enserrées dans un contour apparent. Tout est subordonné à des enveloppes dont le mouvement est sensible, mais dont la détermination ne s’analyse pas. Les détails s’effacent, et cependant l’étude est riche : M. Henner cherche en tout l’unité, et il l’obtient. Les nymphes de son Eglogue, avec leurs corps jeunes et sains que nulle passion n’agite, respirent l’inaltérable sérénité du lieu qu’elles habitent. Qui détournera jamais celle-ci de jouer, celle-là d’écouter ? On les voit bien à distance et rien n’échappe de leur beauté, et lorsqu’on s’approche, elles semblent prêtes à s’évanouir dans le milieu d’où elles sont sorties. Elles sont comme ces pensées profondes qui ont trouvé leur expression, mais qui plongent toujours dans les limbes de l’entendement.

Cette manière de rendre la nature dans sa plénitude et dans son unité est assez rare aujourd’hui, et il est heureux qu’en tendant à ce but on rencontre le succès. Une école différente veut agiter et passionner l’exécution ; elle cherche la vie dans l’abondance, dans la variété de la touche et dans ce que l’on nomme le coloris vibrant. Le dessin et le modelé ne sont plus fixés et semblent trembler sous les yeux. Tous les arts sont donc soumis à des lois générales, et souffrent à un moment donné des mêmes ébranlemens. Le chant de même perd son lien, sa fermeté ; la voix tremble comme le pinceau, et le peintre éprouve la même difficulté à suivre une forme que le chanteur à tenir un son.

Si M. Henner, grâce à d’heureux instincts, sait dégager l’âme de la nature et peut créer la mythologie comme à nouveau, il est d’autres artistes qui, sans avoir le sens mythique, s’attachent à faire revivre sans cesse les données de la fable. A n’envisager celle-ci que comme un répertoire de sujets rians, variés et facilement compréhensibles, on peut prévoir qu’elle ne sera jamais abandonnée parce qu’elle fournira toujours mille occasions au talent de se déployer. Cette année, on voit qu’elle a joui d’une faveur particulière parce qu’elle a inspiré des tableaux importans. M. Bouguereau a représenté dans une composition élégante et du plus gracieux mouvement la naissance de Venus. Peut-être dans cet ouvrage1 le caractère des formes est-il trop généralement agréable ? car, d’après la conception des anciens, la beauté souveraine de la déesse sortant des profondeurs humides doit contraster avec les divinités inférieures qui l’entourent et qui, demi-animales, sont l’expression de la nature sauvage et changeante de la mer. Peut-être même la surface des flots n’est-elle pas assez calme ? L’assiette des groupes en serait plus ferme, et d’ailleurs les Grecs voyaient la divine Aphrodite dans le miroir uni et tranquille des ondes réfléchissant le ciel. Peut-être enfin l’introduction de