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l’on trouvait chez les Anglais. Nous restons nous-mêmes dans notre voie et exempts d’imitation. Il est possible que ces différences qui nous frappent n’existent pas, que la civilisation européenne, qui devient celle du monde entier, étende son niveau sur les productions artistiques de tous les pays, et qu’en cela il n’y ait plus de géographie. Il nous semblait que déjà il en était ainsi à l’exposition de Vienne, que l’on a trop peu visitée. Peut-être en fut-il de même à l’exposition de Paris ? Et peut-être dans cinquante ans, si l’on recueillait tous les ouvrages dont nous analysions l’an passé les caractères que nous trouvions contradictoires, serait-il impossible d’en distinguer la nationalité ? Cela étant, tous les peuples civilisés seraient soumis à la fois aux mêmes influences et aux mêmes changemens.

Dans un ouvrage auquel sa métaphysique est à peu près étrangère, dans son cours d’esthétique publié après sa mort, Hegel a tracé un tableau grandiose des développemens de l’art dans l’humanité. Après avoir considéré la conception du beau comme constituant l’idéal, il en cherche les manifestations dans les œuvres des artistes, et il détermine les momens où ces œuvres réalisent les élémens essentiels de la conception première. Prenant celle-ci à son origine, il montre l’intelligence impuissante à s’élever au-dessus de la nature. Les ressources manquent pour mettre au service de l’idée esthétique ce qui fait le fond de ses créations. Alors on voit paraître des images grossières des forces physiques ; on représente des abstractions morales dépourvues de personnalité à l’aide d’un symbolisme monstrueux.

Plus tard l’intelligence se dégage de ce qui l’environne et constitue le fond même des représentations figurées. Les formes extérieures sont empruntées à la nature ; mais l’esprit idéalise la matière et en fait une fidèle image de lui-même. C’est l’art classique, représentant sincère de l’idéal, c’est le règne de la sereine beauté.

Cependant l’esprit ne saurait reposer dans la recherche d’une satisfaction hautaine. Il abandonne l’accord qu’il avait fait avec le monde sensible pour chercher sa véritable harmonie au fond de lui-même. L’unité de l’idéal plastique se brise pour que l’esprit atteigne à une satisfaction supérieure dans le monde du sentiment. Là il trouve le but auquel il tendait, grâce à la liberté qu’il se donne d’employer, pour l’expression de lui-même, toutes les formes qui peuvent se prêter à figurer ses conceptions. Dans cet état, la beauté, dans sa manifestation la plus parfaite et dans son essence la plus pure, n’est plus son objet suprême, car la vraie nature de l’esprit n’est pas de s’absorber dans les formes corporelles. Ce qu’il