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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/295

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Ce fut durant un de ces séjours que de graves nouvelles vinrent le surprendre. Le prince Galitzine était signalé près d’Orenbourg avec des forces respectables. Pougatchef ramassa dix mille hommes à peu près en état de combattre et se jeta audacieusement au-devant de son adversaire. Ils se rencontrèrent à Tatichef le 22 mars. Les rebelles s’étaient fortifiés dans cette place démantelée avec des ouvrages de neige ; ils opposèrent aux attaques de l’armée régulière une résistance désespérée ; mais la discipline et la supériorité de l’armement assurèrent la victoire aux soldats de Galitzine. Victoire décisive : on le crut du moins alors. Plus de treize cents cadavres d’insurgés jonchaient le terrain de la lutte ; au loin la cavalerie massacrait les fuyards dans toutes les directions ; trois mille prisonniers et trente-six canons restaient aux mains du vainqueur. Pougatchef passa au travers des lignes avec un gros de kosaks et courut jusqu’à Berda, où il arriva lui cinquième. A la nouvelle du désastre, toute la ville des nomades se dissipa dans un désordre inexprimable. Chacun chargeait sur un traîneau sa famille d’aventure, sa part de butin. Dix-sept tonneaux de monnaie de cuivre furent-abandonnés en plein champ. L’immense rassemblement fondait comme il s’était accru, en un instant, quitte à se reformer aussi vite à l’occasion. Les jours suivans, Pougatchef refit un petit corps de ses partisans, épars sur les routes, et se jeta sur Orenbourg, espérant surprendre la ville par un coup de main hardi : Galitzine le prévint et lui infligea une seconde défaite, aussi sanglante que la première. L’imposteur y laissa ses derniers canons et dut s’enfuir avec quelques repris de justice jusqu’aux fabriques de l’Oural, où une population toute gagnée à sa cause lui ménageait des abris sûrs. Il était temps pour lui ; chacun des vaincus pensait à trahir. Un certain Chigaïef avait déjà réussi à séquestrer Pougatchef et Chlopouche, et fait avertir immédiatement le gouverneur d’Orenbourg qu’il les tenait à sa disposition contre sa grâce personnelle ; Reinsdorp, toujours hésitant, n’en croyant pas sa fortune, réfléchit trois heures avant de donner le signal convenu : il était trop tard ! Les deux chefs avaient été délivrés par une poignée de forçats, leurs seuls amis fidèles. Chlopouche se sauva du côté de Kargalé ; ce fauve avait par là une femme et un fils qu’il aimait et voulait préserver. Des Tatars le reconnurent, s’emparèrent de lui et le livrèrent aux autorités. Conduit à Orenbourg, le fameux brigand y paya le premier sa dette à la justice : sa tête tomba au mois de juin 1774.

La population de la ville, libérée après un siège de six mois et au moment où la famine la menaçait sérieusement, se répandit hors de la ville et jusqu’à Berda avec des transports de joie. Galitzine