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veiller à l’exécution stricte du présent arrêté. Le comité de salut public : Ant. Arnaud, E. Eudes, F. Gambon, G. Ranvier. Hôtel de Ville, le 3 prairial an 79. » Un tel ordre interprété d’une certaine façon peut entraîner la destruction de Paris ; mais ce n’est pas l’ordre de brûler Paris[1]. Cependant, avant même la rentrée des troupes françaises, des précautions avaient été prises pour neutraliser les secours que l’on aurait pu porter aux incendies, et je n’ai pas à répéter que d’énormes provisions de matières incendiaires, réquisitionnées de toutes parts, avaient été emmagasinées avec soin, et étaient tenues en réserve.

Le 21 mai, aussitôt que l’arrivée de nos troupes est signalée, Magloire Brunel, à la suite d’une inspiration spontanée, ou d’instructions reçues, expédie un ordre qui seul, en dehors des faits irrécusables et déjà connus, affirme la préméditation du crime : « Garde nationale de la Seine ; Xe arrondissement ; bureau du chef de légion. Ordre aux sapeurs pompiers des douze casernes de se réunir et de se porter immédiatement au Champ de Mars avec le matériel dont ils disposent. Le colonel : Brunel. » Les pompiers comprirent sans peine qu’on tentait de les rassembler au Champ de Mars pour éloigner de Paris le matériel de sauvetage ou pour les mettre eux-mêmes en ligne contre nos soldats. Une députation fut envoyée par eux à Pindy, qui, en qualité de gouverneur militaire de l’Hôtel de Ville, avait sous ses ordres le corps des sapeurs pompiers. I*a discussion fut longue ; Pindy, qui savait à quoi s’en tenir sur les projets de résistance, ou pour mieux dire sur les projets de destruction, Pindy estima, sans doute, que le moyen de se débarrasser des sapeurs pompiers était trop ostensible ; il était fort hésitant, et paraissait ne savoir à quel parti s’arrêter. Il sortit de la salle où l’on discutait, et resta une heure absent. Il est probable, quoi qu’on ne sache rien de positif à cet égard, qu’il alla demander des instructions précises au comité de salut public. Lorsqu’il revint, il resta près de dix minutes, la tête dans ses mains, comme perdu dans ses réflexions. Puis il écrivit à Brunel une lettre dont on ignore le contenu, et, se tournant vers les pompiers délégués, il leur dit : « L’ordre doit être considéré comme non avenu ; ne quittez pas vos casernes. » Un autre moyen moins brutal fut employé, et parvint au résultat qu’avait cherché Brunel. On fit défense aux pompiers de combattre les incendies dont ils durent rester les spectateurs désintéressés. Cela ressort, avec toute évidence, de deux pièces dont l’original a été conservé : « Dépêche au commandant. Feu à la Croix-Rouge, — Gardes nationaux mettent le feu dans tout le

  1. Dans une prochaine et dernière étude, je dirai un mot de deux ordres d’incendies qui ont été produits devant les conseils de guerre et dont l’authenticité ne me parait pas démontrée.