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plaisait de choisir, et c’est en tirant de ce droit ses dernières conséquences qu’elles déposaient les rois, les faisaient tondre, les reléguaient dans des monastères et prononçaient la peine de mort contre Brunehaut. Si barbares qu’ils fussent, quelques Mérovingiens, entre autres Clotaire Ier et Dagobert, essayèrent de faire pénétrer un peu d’ordre dans cette promiscuité juridique ; mais le chaos social était trop profond pour que rien de stable et de régulier en pût sortir. Les institutions venaient à peine de naître qu’elles se perdaient dans l’anarchie. Après la mort de Dagobert, l’aristocratie franque n’eut garde de fortifier l’autorité de juges qui pouvaient la rappeler au respect des lois. Les hommes libres, qui n’avaient aucun intérêt à se déranger pour des affaires qui ne les touchaient pas, ne se rendirent plus aux assises publiques, les comtes ne siégèrent que de loin en loin et seulement dans un but fiscal, pour tirer profit des amendes. Tout était à refaire lorsque Charlemagne monta sur le trône.

Ce grand homme ne cherche point à détruire l’ordre établi, mais à le perfectionner. Il laisse subsister les institutions mérovingiennes en leur donnant la même base, c’est-à-dire la loi salique amendée et augmentée de quelques articles, et il la complète par des lois nouvelles, les capitulaires, qui suppléent à ses nombreuses lacunes. L’organisation judiciaire y tient une grande place, et il est facile de reconstituer l’ensemble du programme. Le glorieux maître des Francs ne veut pas que les juges restent étrangers à la science du droit, comme sous les Mérovingiens. Il leur impose, pour la première fois, des conditions de capacité, et les prend de préférence parmi les élèves de l’école palatine. Des assesseurs, élus par les comtes et les hommes libres, et choisis parmi « les doux et les bons, » sont attachés à chaque tribunal et forment, au nombre de sept, sous le nom de scabins[1], une sorte de jury permanent qui veille à la stricte observation des lois. Les questions de compétence et de discipline sont réglées avec le même soin que le personnel. Ordre est donné aux centeniers, qui évoquaient les causes majeures, de s’en tenir à leurs anciennes attributions ; aux comtes, de siéger régulièrement au moins une fois tous les mois et d’avoir toujours sous la main, pendant les assises, un exemplaire des lois de chaque peuple de l’empire, afin que personne ne puisse les invoquer faussement et qu’eux-mêmes en rendant leurs arrêts ne se mettent pas en contradiction avec les textes. Les évêques sont chargés d’éclairer les juges sur leurs devoirs, de les admonester

  1. Voir sur les scabins : Du Cange, Gloss. v° scabini. — Guizot, Quatrième essai sur l’histoire de France. — De Savigny, Histoire du droit romain, traduction française, t. I, ch. IV.