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combattait. Il possédait au plus haut degré l’ouverture, la largeur de l’esprit, l’amour des idées. Jusqu’à son dernier souffle, il aima la pensée humaine et suivit avec la sympathie et la curiosité de la jeunesse tous les mouvemens de l’opinion, non pas avec cette curiosité ironique qui ne cherche qu’à s’amuser, mais avec cette confiance généreuse qui espère partout et toujours quelque chose de vrai. On ne pouvait sortir d’auprès de lui sans croire à l’esprit humain. Il excellait dans la parole du tête-à-tête et s’y montrait égal et souvent supérieur aux premiers causeurs de notre temps. Cette parole heurtée et inégale, qui paraissait d’abord rouler sur des cailloux, s’animait, s’enflammait : chaude, colorée, pittoresque, elle n’avait rien de semblable à la conversation élégante et froide, moelleuse et ironique qui est le triomphe de la société parisienne ; mais elle frappait l’âme et l’imagination d’une manière singulière : c’est que tout y partait de l’âme et d’une âme toujours occupée des plus grands objets.

Comment, avec un esprit si haut, Dubois n’a-t-il rien laissé de lui-même ? Comment, dans les loisirs que l’avènement de l’empire lui a faits, n’a-t-il pas condensé dans une œuvre durable le trésor de ses pensées, de ses lectures, de ses convictions ? On ne peut le dire. Comme tant d’autres, riches de fonds, mais glacés par le travail de la plume, il reculait devant la publicité : « Quand je veux écrire à tête reposée, disait-il, je ne trouve plus que des cendres froides dans mon foyer éteint. » Mais s’il n’a pas fait, comme on eût pu l’espérer, une œuvre de composition lente et méditée, il a fait cependant son œuvre, et cette œuvre doit assurer à son auteur sa place dans l’histoire politique et littéraire de notre siècle. Il a fondé un grand journal qu’il a animé de son esprit et alimenté de sa plume pendant six ans. Ce journal, c’est lui-même. Quoique beaucoup d’esprits distingués, et les premiers de son temps, y aient collaboré, c’est Dubois qui était le centre et le foyer : c’est lui qui donna à ce journal son caractère original de haut libéralisme et de large initiative. Aussi le nom de Dubois est-il inséparable du journal le Globe. Dans cette œuvre périodique et bientôt quotidienne, son talent, tout d’inspiration et de premier jet, trouvait sa voie : la nécessité le forçait d’écrire ; de nombreux articles sortis de sa plume, qu’il ne voulut jamais réunir par horreur de la publicité, mais qui, pleins de feu et de sens, étaient restés aussi jeunes qu’au premier jour, dormaient dans des collections oubliées. Après la mort de Dubois, de pieuses mains viennent de recueillir ces débris sous le titre modeste de Fragmens littéraires[1]. M. Vacherot, son

  1. Deux volumes in-8o. Paris, 1879. Thorin.