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devoir d’homme de cœur, je vous prierai de m’adresser cette rectification à moi-même, et j’attends de votre bonté de ne pas communiquer mon adresse, car je ne veux plus m’occuper de toute cette politique. Comptant sur votre obligeance et votre justice, je suis, monsieur le général, votre tout dévoué serviteur : Sérizier, rue du Champ-d’Asile numéro 35. »

Si cette lettre est sincère, elle prouve que Sérizier a subi un entraînement irrésistible lorsqu’il a été jusqu’au bout de la voie criminelle qu’il avait, pendant une lueur de bon sens, eu l’intention d’abandonner ; mais, en présence de l’énormité des forfaits commis, une telle supposition n’est guère admissible ; il est bien plus probable que Sérizier a voulu, le cas échéant, se ménager un « certificat de bonne conduite, » une attestation considérable, qui plus tard pourrait l’aider à atténuer les sévérités de la justice. Il n’y réussit pas, car il fut condamné à mort et fusillé. À l’heure suprême, l’orgueil du sectaire reparaît. Le 25 mai 1872, au moment de partir pour le plateau de Satory où l’attend le peloton d’exécution, à quatre heures et demie du matin, il adresse encore une lettre au général Chanzy. Cette lettre est voulue, réfléchie, théâtrale. On la dirait écrite par un homme qui croit sérieusement parler à la postérité : « Je meurs pour la cause du peuple pour laquelle j’ai toujours vécu ; je meurs avec la douce satisfaction d’être innocent… Soldat du peuple, je meurs en soldat et vous prie de ne pas oublier celui qui se dévoua pour vous. Je vous salue avant de mourir. » — Qu’est-ce que l’incendie de quelques tapisseries, qu’est-ce que le meurtre de pauvres prêtres enseignans pouvaient faire à la cause du peuple ? Ces deux lettres ne laissent aucun doute sur l’homme qui les a composées ; la première est hypocrite, la dernière est mensongère. Je viens de relire le procès de Sérizier ; jamais témoignages plus unanimes n’ont accablé un criminel. Cette phraséologie dramatique fait partie intégrante du bagage révolutionnaire. Ferré n’en a-t-il pas appelé à la postérité avant de mourir ?

M. Thiers fit grâce de la vie à plus d’un coupable, et fit bien. Cent dix condamnations à mort furent prononcées, et quatre-vingt-quatre furent l’objet d’une commutation. L’insurrection de Paris entraîna vingt-trois exécutions et celle de Marseille trois. Parmi ceux qui tombèrent au plateau de Satory, il en est un que M. Thiers eût voulu épargner : c’est Rossel. À dix heures du soir, la veille de l’exécution, il luttait encore contre des généraux qui invoquaient l’intérêt de la discipline et la nécessité impérieuse de punir un officier régulier, coupable de désertion à l’ennemi et d’attaque contre la France. M. Thiers, plutôt vaincu que convaincu,