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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/620

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l’esprit national sont développés avec une intensité parallèle ? La loi d’opposition entre chaque état et les autres n’est pas plus essentielle ; seulement, la vie philanthropique n’étant pas encore assez avancée et devant se développer la dernière, les haines mutuelles sont plus fréquentes et plus vivantes encore là qu’ailleurs.

Ainsi, quand on veut tirer de l’histoire naturelle des argumens en faveur d’une politique rétrograde, appelons-en du naturalisme mal informé au naturalisme mieux informé. Les vraies lois de l’organisme social, en résumé, donnent raison à l’école libérale, non à l’école autoritaire. Nous venons de le voir, la vie qui anime la société a d’autant plus d’intensité que la vie des individus est elle-même plus intense, comme un concert de voix a d’autant plus de puissance que chacune des voix est plus pleine ; l’autonomie de l’individu n’empêche point son accord avec la famille, ni l’autonomie de la famille son accord avec la nation, ni l’autonomie de la nation son accord avec le reste de l’humanité. L’idée directrice de l’évolution humaine est donc non pas « l’asservissement des consciences, » mais l’harmonie de toutes les consciences dans leur liberté même. Reliez les hommes entre eux par la force, et vous verrez ce lien tomber tôt ou tard ; reliez-les par leurs volontés, conséquemment par leurs consciences, et le lien social sera d’autant plus indissoluble qu’il aura été noué plus librement par les individus. Cette loi, confirmée par l’histoire, nous en avons vu la raison psychologique : c’est que ce qui rend possible la conscience individuelle et centralisée, je veux dire la volonté se voulant elle-même et disant moi, est en même temps ce qui rend possible une solidarité universelle, car la volonté de chaque homme, force de concentration et d’expansion tout ensemble, est à la fois ce qu’il a de plus personnel et ce par quoi il peut le mieux s’unir aux autres personnes. Les systèmes de fausse politique qui croient développer l’idée du tout ou de l’état en étouffant l’idée du moi travaillent contre leur but : moins l’être se voit, moins il voit la société dont il fait partie ; fermé à lui-même, il est fermé à tous les autres. Ce n’est pas de charbons éteints qu’on fait un brasier. L’énergie de la force résultante suppose l’énergie des forces composantes. En conséquence nous pouvons conclure que, là où existent des consciences individuelles et des volontés distinctes, là seulement existe ce qu’on peut appeler, si l’on veut, la conscience sociale, c’est-à-dire l’union des volontés. Par tout le reste, l’individu est encore plongé dans la nature et ne fait pas partie de la société humaine ; il est comme ces plantes des eaux qui n’émergent dans l’air et la lumière que par leur fleur.


ALFRED FOUILLEE.