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et la ville de Fréjus ne se dessine nettement qu’à l’époque de la colonisation romaine, c’est-à-dire un demi-siècle avant notre ère. La grande voie militaire, construite ou mieux réparée par Aurélius Cotta qui lui donna son nom, via Aurélia, sortait de Rome par la porte du Janicule, longeait la côte ligurienne et venait aboutir à Fréjus. Là, elle quittait le rivage, remontait un peu vers le nord, contournait la chaîne des Maures et se dirigeait sur Arles. Fréjus était donc la dernière station maritime desservie par cette route stratégique, dont l’avantage principal était de suivre fidèlement le contour de la mer Méditerranée, de rester ainsi sous la protection de la flotte romaine et d’être en même temps une porte toujours ouverte sur la Gaule.

La nécessité d’assurer des communications régulières entre Rome et la province nouvellement conquise décida de la fortune de Fréjus. C’était en effet le premier port après les Alpes et même le seul jusqu’à Marseille par où il fût possible de pénétrer facilement dans le pays ligure au delà des Alpes. Marseille elle-même n’offrait pas les mêmes avantages ; elle était beaucoup plus éloignée de Rome ; et, bien qu’elle eût depuis assez longtemps reçu le titre d’alliée, fœderata, la part qu’elle avait prise à la guerre civile ne permettait pas de compter sur elle d’une manière absolue. C’était d’ailleurs une ville libre, étrangère, peuplée de commerçans grecs et beaucoup plus préoccupée de ses intérêts matériels que désireuse d’être absorbée dans le réseau de l’administration romaine.

La petite ville de Fréjus n’avait aucune prétention et se prêtait mieux aux exigences du futur dictateur. Elle ouvrait la vallée de l’Argens. A peu de distance de la voie Aurélienne s’embranchait une autre route stratégique qui pénétrait par Riez et Forcalquier jusqu’au cœur de la Provence ; on pouvait donc avoir, à la sortie même de l’Italie, une station maritime à la disposition de Rome.

César n’hésita pas. Irrité d’ailleurs contre Marseille, qui avait embrassé contre lui la cause de Pompée, repoussé ses avances et l’avait contraint à un siège long et meurtrier, il ne résista pas au désir de donner une rivale à la grande ville phocéenne ; et, en même temps qu’il renforçait la colonie de Narbonne, il envoyait au petit port de l’Argens une sorte d’avant-garde d’occupation qui devait être le germe de la colonie. Ce furent, comme à Narbonne, des vétérans de son corps préféré, la 10e légion, qu’il chargea de cette mission ; mais il est assez peu probable que cette première colonie fût exclusivement militaire puisque à cette époque lia légion de ce nom combattait en Espagne. Quoi qu’il en soit, la ville prit alors le nom de son nouveau maître, en même temps que celui de la légion qu’il y avait envoyée, et s’appela officiellement Forum