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autrefois impossibles à réaliser, pour attaquer de front celle que chacun reconnaît d’utilité générale ? Est-ce la foi dans l’œuvre qui fait défaut ? Non, car l’œuvre a déjà ses martyrs. Est-ce l’argent ? Non, car jamais il n’a été plus abondant, et les banques de France et d’Angleterre sont menacées de mourir plutôt d’une pléthore que d’un épuisement de métaux. Jamais, en effet, les grands établissemens de crédit n’ont mieux été qu’à l’heure présente en état de supporter des saignées de plusieurs centaines de millions sans craindre de se sentir affaiblis. Ce qui peut seul être un empêchement momentané à l’ouverture d’un canal dans l’Amérique centrale, c’est l’indécision dans laquelle on se trouve sur le choix d’un tracé. Cette indécision touche à sa fin, puisqu’un congrès, présidé par M. de Lesseps, a étudié tous les projets de percemens qui se sont produits, ou du moins ceux qui présentaient des chances de réussite. Ce congrès a fait connaître celui des tracés qui lui a paru le plus pratique. Certes, l’arrêt qui vient d’être prononcé aura une grande valeur ; il fera pencher la balance du côté des hommes en faveur desquels il a été rendu ; nous ne voudrions pas cependant qu’il fût sans appel, et, pour que chacun, en France comme à l’étranger, puisse l’approuver ou le critiquer, nous placerons sous les yeux de nos lecteurs les pièces du procès.

Quant aux difficultés matérielles qui pourraient être mises en avant après l’adoption d’un tracé par le congrès, l’on ne devra plus s’en occuper que pour les vaincre. Est-il d’ailleurs de nos jours des obstacles qui puissent arrêter des ingénieurs comme ceux qui ont uni la Méditerranée à la Mer-Rouge, perforé les Alpes, construit en Calédonie cette magnifique série d’écluses connue sous le nom pittoresque d’Escalier des Géans, contraint l’électricité qui foudroie à l’humble rôle d’un porteur des dépêches ?

Il est cependant une question d’humanité qui, à elle seule, peut faire échec au projet le plus facile d’exécution en apparence ou en réalité, question à laquelle, nous avons le regret de le dire, le congrès n’a nullement songé. Cette question est celle du nombre des infortunés qu’il faudra sacrifier, — ainsi que cela s’est fait pour le chemin de fer de Panama, — au défrichement des forêts vierges de l’Amérique centrale et au nivellement des terres qui n’ont jamais été purifiées par un rayon de soleil.

Un jour de l’année 1876, M. A. P. Blanchet avait réuni à Paris une commission de notabilités scientifiques, commerciales et industrielles, dans l’intention de leur soumettre un nouveau tracé du canal interocéanique dont il était l’auteur. Après avoir entendu plusieurs orateurs et la lecture d’une lettre de M. Ferdinand de Lesseps, lettre dans laquelle ce dernier déclarait qu’il considérait le projet du canal de Nicaragua comme celui qui offrait la plus grande facilité