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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/696

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dans l’ombre certaines parties de la région du Darien. Plusieurs personnes prétendaient à cette époque qu’un canal à niveau pouvait être pratiqué en suivant les rivières Tuyra, Paya, Caquirri, Atrato, et en traversant la ligne de faîte qui sépare les deux versans Atlantique et Pacifique, à une altitude ne devant pas dépasser 58 mètres et même 40 mètres. Ces données parurent assez sérieuses au général pour le déterminer à organiser, avec le concours de quelques amis, une grande exploration de toute la contrée. Une expédition, composée d’une dizaine d’ingénieurs français et étrangers, à la tête desquels se trouvait l’ingénieur en chef des ponts et chaussées, M. Victor Celler, partit au mois de novembre 1876, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Lucien N.-B. Wyse, auquel s’était adjoint le lieutenant de vaisseau Armand Reclus. A la suite de travaux qui durèrent plusieurs mois, la vérité s’est faite : le point culminant avait 142 mètres d’élévation au lieu de 58 mètres espérés. Les recherches furent portées ailleurs et dirigées vers les vallées des rivières Tupisa et Tiati, vers la baie d’Acanti sur l’Atlantique, en traversant une haute cordillère qui nécessiterait un tunnel de 16 à 18 kilomètres. Pendant deux ans, les explorateurs ont examiné tous les passages, et l’année. dernière ils sont arrivés à la conviction que les tracés les plus favorables étaient ceux de Panama, du Napipi et du Nicaragua.

« La pensée est en effet saisie au premier abord, a dit en terminant M. Turr, quand on voit le magnifique lac de Nicaragua ; mais quand on considère que les navires n’y pourront entrer qu’au moyen d’écluses successives, on se rend compte des difficultés que leur manœuvre présentera à la navigation. Nous nous sommes alors reportés sur Panama, où nous avons acquis la profonde conviction qu’on pouvait percer un canal complètement à niveau, soit avec tunnel, soit sans tunnel. Avec les immenses moyens d’exécution qui existent aujourd’hui, le génie des ingénieurs ne peut être effrayé par ces grands travaux. En France même, il existe des canaux à tunnel, et déjà au XVIIe siècle les Espagnols, au Mexique, ont exécuté une tranchée de 60 mètres dans la roche. »

Hâtons-nous de dire que la bonne opinion que M. le général Turr a des tranchées au Mexique et en France n’a pas tenu en présence des critiques soulevées par son projet, et l’idée d’un tunnel a été rejetée aussitôt qu’elle a été émise. Cette œuvre, indépendamment des difficultés insurmontables d’exécution qu’elle offrait, n’eût pas coûté à elle seule moins d’un milliard, somme qui dans tous les temps et dans tous les pays est difficile à faire sortir des poches des capitalistes les moins défians[1].

  1. Examen critique d’un projet de tunnel maritime pour le canal interocéanique proposé par le Panama, par MM. J. Pouchet et G. Sautereau, ingénieurs, et M. L. Ribourt, ingénieur du tunnel du Saint-Gothard.