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c’était celui de ses opinions philosophiques. L’incrédulité absolue dont il faisait profession était pour lui un triste héritage de famille, qu’il tenait non pas de son père, assez indifférent sur ces questions, comme sur bien d’autres, mais, chose plus rare, de sa mère. Mme Mérimée témoignait en effet contre toute croyance religieuse une aversion décidée, et lorsque son fils adoptait cette devise imprimée sur son cachet : Μέμνησο ἀπιστεῖν, souviens-toi de ne pas croire, il ne faisait que rappeler à sa mémoire une recommandation maternelle. L’incrédulité systématique de Mérimée dépassait de beaucoup la moyenne des opinions reçues dans le monde où il vivait. Sans doute, on n’y prétendait pas à l’orthodoxie de certains salons de la restauration, mais on y était déiste et plutôt chrétien. Or Mérimée disait n’avoir jamais été baptisé. Il a laissé cependant imprimer de son vivant que son acte de baptême figurait sur les registres de la paroisse Saint-Germain-des-Prés. Mais les recherches entreprises à ma demande n’ont point confirmé cette assertion. Mérimée eût été au reste bien fâché qu’on lui produisît cet acte, car c’eût été le priver d’un effet assuré lorsqu’il jetait négligemment cette particularité dans la conversation. Un soir qu’il dînait chez Mme de Boigne, cet effet fut même plus grand qu’il n’aurait désiré ; dans ce milieu correct, la chose fut trouvée (non sans raison peut-être) de mauvais goût, et la maîtresse du logis, qui tenait à ce qu’à sa table la liberté de la conversation ne dépassât pas certaines bornes, ne se fit pas faute de l’en avertir. Parfois au contraire il provoquait par cette confidence des témoignages d’affectueux intérêt qu’il aurait pu mieux accueillir. C’est ainsi qu’une femme aimable dépensa dans une longue conversation toutes les ressources de son esprit et toute la chaleur de son cœur (les personnes qui ont l’honneur de la connaître savent que c’est beaucoup dire) pour déterminer Mérimée à recevoir le baptême. Après l’avoir écoutée longtemps sans mot dire : « Eh bien, madame, j’y consens, interrompit tout à coup Mérimée avec un grand sérieux, mais à une condition : c’est que vous me servirez de marraine ; je serai habillé de blanc et vous me porterez dans vos bras. »

Mérimée n’avait que trop de goût à mêler ainsi la raillerie à ces questions si graves, bien que sous cette raillerie il ne fût pas impossible de découvrir parfois les indices d’une certaine tristesse. Quelques années après, comme il était appelé à Carcassonne pour donner son avis, en sa qualité d’inspecteur des monumens historiques, sur un projet de réparation de la cathédrale, la même personne lui avait donné une lettre d’introduction auprès de l’évêque de cette ville. Peu de jours après le départ de Mérimée, elle recevait de lui cette lettre, dont je n’ai pas besoin d’expliquer la plaisante imposture :