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la mode de Paris. Elles en font parade sur le boulevard et se retournent pour voir si MM. les officiers de chasseurs y font attention. Mlle de Verte-Allure n’a fait que lisser ses bandeaux hier à la grand’messe pour faire voir ses manches, et ce fut un scandale pour toute la congrégation. Puissent ces manches, madame, être légères sur votre conscience ; mais je frémis en pensant à tout ce qu’il y peut entrer d’iniquités. Je finis, madame, cette longue lettre en vous annonçant le retour prochain de votre catéchumène, que le mistral, l’ail, la pluie, les provinciaux, ont rendu si mélancolique qu’il fait pitié à voir. Veuillez agréer, madame, les respectueux hommages de votre très humble et très obéissant serviteur,

« L’abbé CHAPOND, professeur de théologie au grand séminaire de Carcassonne. »


J’ai dit que l’incrédulité absolue de Mérimée était un héritage de famille. Cependant cette disposition à un scepticisme agressif avait été singulièrement développée chez lui par un homme qui, après avoir de son vivant rencontré assez peu de sympathie, a trouvé depuis sa mort des admirateurs fanatiques. Je veux parler d’Henri Beyle, qui a été pendant longtemps beaucoup plus connu sous son pseudonyme de Stendhal. Lorsque Mérimée rencontra pour la première fois Beyle chez Mme Pasta, il avait dix-huit ans, c’est-à-dire l’âge où l’on est facilement séduit. Beyle en avait au contraire plus de quarante. Par son esprit brillant, il n’eut pas de peine à réduire sous son influence une nature au fond assez faible. C’est peut-être pour se défendre d’avoir subi cette influence que Mérimée a écrit dans une notice, consacrée par lui à la mémoire de Beyle : « Sauf quelques préférences et quelques aversions littéraires, nous n’avions peut-être pas une idée en commun, et il y avait peu de sujets sur lesquels nous fussions d’accord. » Mais nulle part la ressemblance entre les deux natures (avec bien plus de finesse et de distinction dans celle de Mérimée) n’apparaît plus clairement que dans cette notice. Parfois en jugeant Beyle, Mérimée semble parler de lui-même : « Un des traits les plus frappans, dit-il, du caractère de Beyle, était l’inquiétude d’être pris pour dupe et une constante préoccupation de se garantir de ce malheur. De là cet endurcissement factice, cette analyse désespérante des mobiles bas de toutes les actions généreuses, cette résistance aux premiers mouvemens du cœur, beaucoup plus affectée que réelle chez lui à ce qu’il me semble. L’aversion et le mépris qu’il avait pour la fausse sensibilité le faisaient souvent tomber dans l’exagération contraire, au grand scandale de ceux qui, ne le connaissant pas intimement, prenaient à la lettre ce qu’il disait de lui-même. Non-seulement il n’attachait aucune importance à rectifier les