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portait et par le rang élevé qu’il avait atteint dans notre armée. C’était à la vérité dans la société d’élite à laquelle elle appartenait par sa naissance que Mérimée avait rencontré pour la première fois cette spirituelle correspondante, et cela bien avant qu’un sentiment commun d’attachement et de reconnaissance les réunît parfois sous le toit de quelque résidence impériale. Mais l’échange habituel des lettres ne date que de cette seconde période de leurs relations. Il m’a été permis d’en publier quelques-unes, et les lecteurs de la Revue partageront assurément ma reconnaissance.


« Paris, 1866.

« Madame,

« Je me mettais en route hier pour aller vous voir, quand m’est survenu un fâcheux qui m’a retenu jusqu’après l’heure où on peut avoir l’espérance de vous trouver, mais vous me dites que vous êtes souvent chez vous le soir et je compte bien aller vous demander une tasse de thé dès que je serai débarrassé d’un poids que j’ai sur l’estomac. C’est un discours dont je suis menacé de M. Rouber en faveur des serinettes ; MM. les jurisconsultes sont tout prêts à me dévorer ; on me dit que cela sera bientôt fait, mais en attendant je passe mes soirées à lire des choses bien ennuyeuses, comme le code civil et autres ouvrages du même genre.

« J’aurais dû commencer par vous dire que je suis rapporteur d’un projet de loi et que j’ai fait un rapport contre la loi. Cette perspective de guerre au Luxembourg me rend presque indifférent pour celle qui se prépare aux bords de L’Adige, de l’Elbe et ailleurs. Je désire et j’espère que nous ne nous en mêlerons pas.

« Je trouve comme vous, madame, que le monde ne va pas trop bien, et ce ne serait que demi-mal s’il n’était pas si ennuyeux. Cela fait que je ne sors guère de mon trou et que je vis beaucoup dans la société de mon chat, qui est de l’ancien régime et arriéré de toutes les façons. Dès que je serai quitte des grilles des jurisconsultes, j’irai médire avec vous des temps présens. »


« Cannes, 29 novembre 1866.

« Madame,

«… Il n’y a malheureusement qu’un grand homme par siècle, et c’est M. de Bismarck qui occupe la place. Vous me dites qu’il est malade, cela pourrait donner de l’avancement dans la carrière ; mais, d’autre part, on me dit que tout son mal vient de ce qu’il fume trop, et je n’ai pas le courage de l’en blâmer.

« Nous avons un temps, extraordinaire pour le pays. Il y fait