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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/773

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Tragiques de la guerre.. On a pu, non sans quelque apparence de fondement, accuser Mérimée d’aimer assez peu son pays, et par certains propos il a prêté à cette accusation, comme à beaucoup de celles qui ont été portées contre lui. Je suis heureux, dans l’intérêt de sa mémoire, de pouvoir publier deux lettres écrites par lui durant cette triste époque, et qui le montrent beaucoup plus affecté de nos malheurs que je ne l’en aurais cru moi-même capable. La première de ces lettres a été écrite de Paris, pendant l’intervalle qui sépare la bataille de Reichshoffen de la révolution du 4 septembre.


« Paris, 16 août 1870.

« Madame,

« Je suis si troublé que je n’ai pas encore répondu à votre lettre. Vous avez raison, il ne faut pas se voir dans ce temps-ci, on souffre doublement. Je suis allé cependant aux Tuileries et j’ai passé un quart d’heure avec l’impératrice. Elle voit la situation de la manière la plus nette et elle conserve un calme vraiment héroïque. Je suis sorti, navré et plus fatigué des efforts que j’avais faits pour ne pas sangloter que si je m’étais abandonné complètement.

« Je ne sais ce que nous réserve l’avenir, mais je vois d’un côté une volonté décidée et de l’ordre, de l’autre vingt volontés qui se combattent et du désordre. Et quoi qu’il arrive nos maux ne se termineront pas par une paix honorable ou honteuse. On a soulevé une tempête dans ce pays. Peut-être cette tempête le sauvera-t-elle, mais quels bouleversemens ne prépare-t-elle pas aussi ! Adieu, madame. J’ai le cœur bien serré. »


Mérimée était encore à Paris, et son état s’aggravait de jour en jour lorsqu’arriva la nouvelle du désastre de Sedan. Ayant reçu, le 3 septembre au soir, une convocation pour la séance que le sénat devait tenir le lendemain, il crut de son devoir de s’y rendre, malgré les efforts de ses amis. Ses jambes étaient tellement enflées que pour qu’il pût s’y transporter il fut nécessaire de les comprimer dans des bandes de flanelle. Dans cet état, il se traîna péniblement à la séance et assista en témoin silencieux, mais non pas indifférent, à l’effondrement. Le lendemain il partait pour Cannes, d’où il adressa à la comtesse de B….. la lettre suivante :


« Cannes, 13 septembre 1870.

« Madame,

« On m’envoie, ici votre lettre, où elle arrive presque en même temps que moi. Je ne serais pas parti sans aller vous demander