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de lui dire : A quoi bon s’être revêtu de ce manteau ? A quoi bon, lorsqu’il avait les sentimens véritables d’un bon citoyen, avoir affecté l’indifférence choquante d’un cosmopolitisme dédaigneux ? A quoi bon, lorsqu’il était un ami sûr, dévoué, qui n’avait jamais manqué à personne, avoir dit et écrit qu’il ne croyait pas à l’amitié ? A quoi bon, lorsqu’à travers une existence entremêlée de beaucoup d’aventures soi-disant romanesques, il avait conservé des affections fidèles auxquelles il avait donné, dont il avait reçu jusqu’à la dernière heure des témoignages d’attachement, à quoi bon avoir affecté dans son langage la sécheresse et la méfiance ? « Il faut, disait finement Mme Swetchine, respecter les lignes de notre nature, parce que ces lignes sont l’œuvre de Dieu. » Qu’est-ce donc lorsque ces lignes étaient droites et nobles, et qu’on s’est efforcé, heureusement sans y réussir toujours, de les détruire ! Mais malgré ce qu’en insistant on pourrait trouver encore à dire contre lui, je crois que Mérimée est de ceux pour lesquels, de son vivant comme après sa mort, on s’est montré trop sévère, et je ne puis oublier ce qu’en pensait Ampère. Un jour, on s’exprimait devant lui en termes assez sévères sur le compte de Mérimée et on disait : « Au moral, c’est un être assez médiocre. — Médiocre ! s’écria Ampère avec feu ; d’abord il n’y a pas d’hommes médiocres ; il y en a beaucoup de très mauvais et quelques-uns d’excellens, Mérimée est parmi les excellens. » Faites la part assez large, si vous voulez, du paradoxe et de l’exagération, et vous aurez à tout prendre la note juste sur Mérimée.


III

Je n’ai parlé jusqu’ici que de l’homme, et au point de vue auquel je me suis placé pour écrire ces quelques pages, je n’aurais point à parler des œuvres si l’homme ne s’y peignait encore et si ce n’était l’occasion d’ajouter quelques coups de pinceau à son portrait. Ces œuvres défient, au reste, une longue critique. Lorsque le regretté Prévost-Paradol posa sa candidature à l’Académie française, quelqu’un s’avisa, devant Sainte-Beuve, de contester ses titres : « Son bagage est bien léger, dit-il. — Monsieur, répliqua Sainte-Beuve, les diamans ne sont jamais lourds. » On pourrait appliquer la même image au bagage de Mérimée ; mais il n’est pas très facile d’expliquer ce qui fait l’éclat et la beauté des diamans. J’appelle diamans dans les ouvrages de Mérimée les petits romans comme la Chronique de Charles IX et Colomba, et ses nouvelles comme : Tamango, Mateo Falcone, la Prise de la Redoute, le Vase étrusque. Quant au reste du bagage, je le crois destiné, malgré la