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de me former un ministère… Je veux que vous emportiez la conviction que, si vous avez eu un travail difficile et pénible, vos efforts ne resteront pas stériles, car, vous le savez, tout germe et mûrit vite sur cette vieille terre d’Égypte. » Si le khédive voulait parler des arbres et des moissons, il ne se trompait pas en disant que tout mûrit vite en Égypte : il suffit de quelques mois pour que le blé y porte son épi, et de quelques années pour que les acacias et les sycomores y atteignent des proportions qu’ils n’atteindraient pas en un siècle dans nos froids climats. Mais s’il voulait parler des réformes libérales, il se trompait, et ses comparaisons agricoles tombaient à faux. Sans doute les réformes libérales s’implantent et se développent très vite en Égypte ; mais à la manière de certains arbres, — de l’eucalyptus par exemple, — qui poussent avec une rapidité extraordinaire sur le sol égyptien, puis qui s’étiolent et restent toujours grêles, parce que la couche de « vieille terre » est trop mince et qu’au-dessous d’elle s’étend un sable dans lequel il leur est impossible de jeter des racines profondes. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois, à beaucoup près, qu’Ismaïl-Pacha faisait entendre un langage plein de magnifiques promesses. A peine arrivé au trône, le 20 janvier 1863, il s’écriait dans un discours rempli aussi des plus emphatiques espérances : « La base de l’administration est l’ordre et l’économie dans les finances ; cet ordre et cette économie, je les poursuivrai par tous les moyens possibles… J’ai décidé de me fixer à moi-même une liste civile que je ne dépasserai jamais ; je pourrai ainsi abolir le système des corvées qu’a toujours suivi le gouvernement dans ses travaux… Le commerce libre fera circuler l’aisance dans toutes les classes de la population… La bonne distribution de la justice aura toute ma sollicitude. » Le souverain qui prononçait ces belles paroles allait gouverner le plus riche pays de la terre : il lui était donc facile de pratiquer les principes dont il proclamait si haut la nécessité. A défaut d’autres bons exemples, Abbas-Pacha lui avait laissé ceux de l’ordre et de l’économie les plus stricts, et si Saïd-Pacha avait quelque peu abusé de la libéralité, il n’avait pourtant grevé l’Égypte que d’une dette insignifiante. En dix-huit ans de règne, Ismaïl-Pacha a emprunté près de trois milliards de francs. A la vérité, la moitié de cette somme au moins est restée entre les mains des banquiers et des agioteurs de toute espèce dont l’ancien vice-roi a toujours été entouré ; mais un prince dont le pouvoir est sans limites n’est-il pas responsable du mal qu’il laisse faire aussi bien que de celui qu’il fait directement ? Loin de s’être fixé à lui-même une liste civile « qu’il ne dépasserait jamais, » Ismaïl-Pacha a toujours confondu la fortune de l’état avec sa propre fortune ; c’est même pour cela que la commission d’enquête avait cru devoir le rendre