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d’enquête avait signalé les abus, et ne voyaient-ils pas sans peine un nouveau ministère annoncer résolument l’intention de le faire disparaître. Il en était de même des pachas turcs, pour lesquels l’Égypte était une sorte de ferme qu’ils exploitaient librement et violemment. Ces pachas étaient peu nombreux et peu redoutables en eux-mêmes. L’Égypte ne ressemble pas à la Turquie : les Turcs y sont en infime minorité. C’est tout au plus si une trentaine d’entre eux exercent une réelle influence sur la politique et sur l’administration du pays. Encore ces Turcs, à l’exception de quatre ou cinq, n’ont-ils aucune racine dans la nation. Ce sont des mameluks de Mehemet-Aly, de Saïd-Pacha et d’Ismaïl-Pacha qui, venus on ne sait trop d’où, se sont enrichis dans les emplois publics, malgré la modicité des traitemens réguliers, avec une rapidité dont M. Cave s’était montré justement indigné. Très énergiques contre les fellahs qu’ils accablent de coups de courbache pour les contraindre à payer des impôts écrasans ou à faire des corvées arbitraires, ils ont montré beaucoup moins de courage lorsqu’il s’est agi de se battre eux-mêmes dans la guerre contre la Russie et dans la guerre d’Abyssinie. Chacun a pu remarquer quel parfait contraste ils offraient alors avec les vrais Turcs de Turquie, lesquels n’ont pas toujours brillé non plus par la délicatesse administrative et financière, mais ont du moins fait preuve d’une énergie militaire indomptable. Aucun des pachas égyptiens n’a une instruction politique tant soit peu sérieuse et ne peut être comparé aux hommes d’état, assurément très remarquables, sinon toujours très bien inspirés, qui se sont succédé à Constantinople dans les divers ministères du sultan. Pour eux, l’art de gouverner se réduit à une seule opération : s’emparer par tous les moyens de tous les produits du pays, ce qui est fort simple avec une population comme la population égyptienne qui se laisse arracher sans la plus légère velléité de révolte jusqu’à ses dernières ressources. Pendant dix-huit ans, les pachas auxquels le khédive confiait le pouvoir ne s’en étaient servis que pour satisfaire les caprices du maître ou pour augmenter leur fortune personnelle. A part quelques exceptions remarquées, ils avaient tous compris leur mission de la même manière. Est-ce à dire que tous se fussent livrés pour leur propre compte à d’odieuses dilapidations ? A coup sûr non. Pour ne citer qu’un exemple, Cheriff-Pacha, le chef de la coterie des vieux Turcs, est un parfait honnête homme, au désintéressement duquel chacun rend justice. Mais, s’il n’a jamais spolié les fellahs pour s’enrichir lui-même, il n’a jamais eu le courage ou l’intelligence de s’opposer aux spoliations que d’autres faisaient autour, de lui. Il s’est prêté par faiblesse de caractère ou par étroitesse d’esprit aux plus frauduleuses opérations de l’ancien ministre des finances, Ismaïl-Sadyk, Il a vu le mal sans essayer