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à un pareil sujet. Ce n’est pas la statistique qui nous dira quelle est la nature de notre enseignement supérieur, quels en sont les mérites ou les défauts, quelle en est surtout la valeur scientifique et quelle action il exerce sur les esprits. À ces questions, nous ne croyons pas que personne puisse répondre aujourd’hui avec exactitude, et ceux qui les tranchent par les affirmations les- plus absolues sont peut-être ceux qui les ont le moins étudiées. A plus forte raison ignorons-nous ce qu’est l’enseignement supérieur à l’étranger. Sur ce point encore, il faut nous mettre en garde contre ces demi-notions incertaines et superficielles que l’on prend trop aisément pour des vérités. Suffit-il de répéter par exemple que l’Allemagne a beaucoup de professeurs, que les étudians inscrits aux cours sont nombreux, que les universités y sont très indépendantes, qu’à côté des professeurs qui vieillissent il existe des privat-docenten toujours jeunes ? Est-ce assez de quelques faits de cette sorte, vaguement observés, sans détail, sans nulle observation de la pratique, pour nous donner une idée exacte de cet enseignement, pour nous faire comprendre s’il est fécond et pourquoi il l’est ?

Il s’est formé l’année dernière à Paris une société qui s’est proposé d’examiner tous ces problèmes, Elle s’intitule Société pour l’étude des questions d’enseignement supérieur. Qu’on ne se figure pas cependant une réunion de théoriciens et de rêveurs qui seraient pressés de créer un enseignement idéal. Les hommes qui la composent sont au contraire des hommes de pratique. Aussi savent-ils que des réformes trop hâtives pourraient être désastreuses. On aurait bientôt fait, sous prétexte que notre enseignement est malade, de le tuer. Il importe d’abord de constater s’il est malade ; il y a ensuite à distinguer par où il l’est ; il y aura enfin à chercher quels remèdes particuliers pourront lui convenir. C’est donc par l’étude des faits actuels qu’il faut commencer. Avant de réformer, on doit se rendre bien compte de ce qui existe. Avant d’imiter l’étranger, il est utile de savoir exactement ce qu’est et ce que vaut l’étranger. Aussi cette Société dont nous parlons est-elle convenue dès le premier jour et a-t-elle écrit dans ce qu’on peut appeler son pacte social qu’elle ne viserait pas dès maintenant à transformer l’enseignement supérieur, mais qu’elle s’appliquerait tout d’abord à le bien connaître. Les réformes, pour être un peu retardées, n’en seront que plus sûres[1].

La Société a commencé son travail par l’étude des universités étrangères. N’en soyons pas surpris ; il est toujours plus facile d’observer autrui que de s’observer soi-même, et il est d’une bonne

  1. Le siège de la Société est rue des Saints-Pères, 15, comme celui de l’École libre des sciences politiques. M. Boutmy est l’inspirateur de l’une et de l’autre fondation.